Lors d’un événement s’étant déroulé au Grand Palais à Paris, du 7 au 9 Juillet 2018, la branche de Google appelée Arts et Culture a présenté un dispositif numérique et artistique où le visiteur est invité à dessiner ce qu’il désire sur un écran présenté comme un chevalet de peintre. Son dessin est comparé en temps réel à une œuvre artistique, qu’il s’agisse d’une peinture ou d’une sculpture, et ce dans l’espoir d’inciter le grand public à s’intéresser davantage au milieu de l’art.
Cet événement, appelé Art # Connexion, proposait « quinze expériences digitales autour de l’art réunies pour la 1ère fois au Grand Palais » et permettait une interaction gratuite avec plusieurs dispositifs à un public de tout âge. Le ministère de la culture et Google Arts et Culture étaient partenaires de l’événement.
Comme décris précédemment, #DrawToArt est une expérience digitale qui se présente sous la forme d’un écran intégré dans un chevalet où le spectateur est invité à dessiner ce qu’il désire pour ensuite voir son dessin comparé avec des œuvres d’arts qui y sont similaires. Bien qu’ayant un aspect purement ludique, ce dispositif est surtout réalisé pour montrer de quoi l’algorithme Google est capable. Ici, il s’agit de proposer des œuvres d’arts présentes dans une immense base de données pour les comparer avec le dessin du spectateur, et ainsi l’inviter à en savoir plus sur le monde de l’art en général.
Cependant, assez rapidement, une polémique naît de ce dispositif. Le sociologue et chercheur Antonio Casilli dénonce sur Twitter que « Google propose aux usagers du musée d’entraîner ses IA avec Autodraw. Pratique ». En effet, les actions des visiteurs du musée, à savoir dessiner sur l’écran, nourrissent l’intelligence artificielle de Google. Cela lui permet de devenir de plus en plus précise, et cela, sans que le visiteur soit rémunéré d’une quelque manière que ce soit. On peut parler de ce que Casilli appelle « le travail invisible ». Selon lui, cela a pour objectif, d’enrichir uniquement les profits des entreprises. En transformant en valeurs toutes les actions quotidiennes que l’on fait sur internet, à savoir faire une recherche Google, mettre un j’aime sur Facebook ou regarder une vidéo sur Youtube, nous enrichissons ces mêmes entreprises. Ces actions du quotidien nous paraissent banales et gratuites mais contribuent au perfectionnent des IA et rapportent plus de profits à leurs entreprises.
#DrawToArt a d’ailleurs contribué à ce que l’algorithme de Google soit plus performant et donne naissance à une application qui reprend le même principe que celui du dispositif présenté au Grand Palais : Autodraw. En effet, cette application utilise l’intelligence artificielle de Google pour deviner ce que nous sommes en train de dessiner en temps réel. A la place de proposer des œuvres d’art en rapport avec le dessin, l’IA propose des formes, objets, structures et personnages concrets. Par exemple en dessinant un rectangle à l’intérieur d’un autre, Autodraw pense que l’on dessine un smartphone sans que l’on n’ait fini le dessin. En cliquant sur la proposition donnée par l’IA, un dessin de smartphone apparaît donc à l’écran.
Les usagers du musée ont nourri une intelligence artificielle sans être rémunérés, et ce en toute normalité. Cela expose le problème auquel on fait face aujourd’hui et qu’Antonio Casilli dénonce à travers ses multiples recherches sur le sujet, à savoir le Digital Labor.
Cependant peut-on réellement affirmer que les usagers du musée aient travaillé (à leur insu) pour rendre l’IA de Google plus performante ? En lisant différents messages sur les réseaux sociaux liés à l’événement, les visiteurs ont partagé leurs impressions sur le dispositif #DrawToArt. Celui-ci ne leur donnait pas l’illusion de travailler mais de les amuser de manière ludique. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses personnes montrent leur dessin à côté d’une œuvre d’art similaire que l’algorithme a choisi parmi sa base de données. De ce fait, on peut se demander si l’on peut qualifier de « travail » ce que l’on interprète comme une action gratuite, simple voire ludique comme ce que propose #DrawToArt. Après tout, un véritable travail présente une mission que l’on doit effectuer dans le temps qu’on nous impose, or ici, les usagers du musée ne sont en rien obligés d’interagir avec le dispositif, il n’y a aucune obligation qui leur soit imposée.
Antonio Casilli considère que dès lors qu’on optimise une IA sans avoir la moindre rémunération en retour, nous devenons par conséquent à la fois consommateurs de ces services « gratuits » et producteurs. Nous laissons filtrer nos données par la simple action de cliquer, comme par exemple en le faisant sur une publicité. Ces données entrent dans les bases de données des IA et les rendent plus performantes. Si pour Casilli le Digital Labor se définit en englobant « toute activité qui produit de la valeur et qui est fondé sur des principes de tâcheronisation et de datafication », alors on peut considérer que les actions des visiteurs du musée qui ont participé au dispositif #DrawToArt ont effectivement travaillé gratuitement pour Google, permettant ainsi d’entraîner son IA sans le moindre coût.