Chamanisme et Neurosciences

Tout d’abord, nous pourrions nous demander ce qu’est le chamanisme,  où nous  le retrouvons, et depuis quand, ce type de pratique se perpétue.

Ce que l’on peut affirmer, c’est que nous trouvons des traces du chamanisme sur les cinq continents. Les premiers témoignages remontent aux chroniques des missionnaires, diplomates, navigateurs et explorateurs du 13ème siècle en provenance de l’Extrême-Orient et de l’Europe septentrionale puis au 15ème siècle pour les Amérique.
Des traditions ont persisté au cours des âges, d’autres ont presque disparu, particulièrement en occident. Ainsi, les sociétés poursuivant leur mode de vie et héritage des anciens, sont dites primitives.

Autant dire que les pratiques spirituelles et ésotériques ne sont pas précisément datées, n’ayant pas de source directe, puisqu’elles ont toujours été initiées secrètement, suivant l’évolution de la civilisation.

Si l’on s’accorde à définir le chamanisme :

– C’est un ensemble de pratiques empiriques informelles propre à leurs aires géographiques.

– Dans la sphère moderne, est mise en commun une vision correspondant à un mélange culturel et à un métissage imaginaire.

– Le chaman serait le lien entre les esprits et les hommes pouvant communiquer. La transe est le moyen permettant de traverser et de voyager dans la dimension des esprits. 

Au fur et à mesure des siècles depuis la découverte des chamanes, ceux-ci ont fait l’objet de fortes critiques. Charlatan, comportement sauvage, hérésie, hérétique, victime de maladie mentale, dédoublement de la personnalité, hystérique, psychotique, schizophrénie ou de l’épilepsie. En 1861, Krivoapkin, « fou guéri », « physiologie pathologique », etc.

Olga Letykai Csonka, La Chamane Suisse, Originaire de Sibérie

Le chamanisme, c’est ça
Chamane de Sibérie, Olga perpétue son art dans les Alpes suisses

Le chamanisme est à distinguer du Néo-chamanisme

Le Néo-chamanisme apparaît dans les années 60, soutenu par le mouvement New age, ainsi que par la mouvance hippie. Il incarne une nouvelle forme de chamanisme en tant que pratique spirituelle moderne, qui motive la pensée pro-écologique.

Sur les 5 continents, le chamanisme reprend les fragments des préceptes traditionnels. L’occident, principalement, retrouve son héritage historique, celui de l’Amérique ou de l’Europe. Deux figures d’ethnologues chercheurs apparaissent comme des pionniers ayant soutenu ce mouvement. 

Tout d’abord, Michael Harner, spécialiste du chamanisme traditionnel et de la pratique du chamanisme moderne. En 1980, il écrivit un ouvrage portant son idée « The Way of the Shaman ». Core Shamanism : exprimant les fondamentaux du chamanisme.

Puis, Carlos Castaneda, écrivain de plusieurs livres autobiographiques, témoignages de son apprentissage des courants chamaniques. Il analyse notamment le chamanisme toltek en Amérique du sud. Don Juan Matus sera le maître spirituel principalement mentionné dans ces écrits depuis 1968, « The Teachings of Don Juan : L’Herbe du diable et la Petite Fumée ».

Ces écrits reconstruisent une pratique ayant subi une persécution ou une interdiction : mais entre authenticité ou vérité, il existe un débat entre ces communautés.

La Transe 

Selon les cultures, il y a différentes façons d’instiguer la transe, comme par exemple les chants de gorges de la Mongolie ou la fumée des plantes telles que  l’Ayahuasca en Amazonie. Une transe auto-induite que l’on maîtrise pour communiquer, traverser les sphères et aller à la rencontre des esprits pouvant incarner les ancêtres du clan ou des apparences animales. Chaque chamane à son esprit de tête qui est le protecteur du chaman faisant office de guide à travers les voyages.

Cette demande de communication est utilisée pour les rituels de guérison, mais aussi pour comprendre ce qui n’est pas équilibré. Selon les chamanes, les esprits sont souvent les instigateurs d’événements ou de maladies. Car ceux-ci sont en colère, suite au manque de respect. Chaque pierre, arbre, animaux ou particule ont une vibration. Alors s’il y a vibration, il y a vie.

L’Ouvrage

Sébastien Baud et Corine Sombrun,

Chamanes au cœur de la Nature, 2021

Sébastien Baud est ethnologue, américaniste, il mène des travaux de recherche sur le chamanisme ainsi que les pratiques et traditions liées aux plantes et à la spiritualité. Connu pour ses travaux et ses recherches de terrain avec les populations urbaines et paysannes.

Ce recueil est un bilan général des études et des questionnements relatifs au personnage du chaman et à ses fonctions, aux croyances et pratiques chamaniques, en particulier la transe.

– La première partie s’interroge sur l’origine et la sémantique des mots chamanes et chamanisme. Aujourd’hui, ces termes sont des tiroirs qui sont les niches des concepts et fantasme occidentaux. On traverse du moyen âge à nos jours l’ethnologie du chamanisme et ces différentes assimilations culturelles. 

– Puis nous faisons un tour du monde qui décrit les différentes formes de sociétés chamaniques dans lesquelles ils sont observés. Sébastien Baud reste ferme en écartant la théorie du fou dans le chamanisme. Contrairement aux prêtres occidentaux et à certaines religions institutionnelles, le chaman ne professe pas des croyances, mais témoigne d’un mode d’action ( théorie empruntée à Michel Perrin ).

– La dernière partie décrite par Sébastien Baud parle de l’initiation chamanique et de la transe.

L’état de transe est la preuve du voyage chez les esprits ou annonce la présence des êtres non-visible. Plus qu’une simple possession, c’est une expérience durant laquelle l’âme quitte le corps, tout comme la projection astrale, pour permettre un accès à une connaissance autre.

Les Neurosciences

Corine Sombrun est une écrivaine et chamane française qui s’est fait connaître pour son travail dans le domaine des expériences chamaniques, en particulier sa relation avec les chamanes en Mongolie. Elle a écrit plusieurs livres sur le sujet, dont « Mon initiation chez les chamanes » (2004) et « Les esprits de la steppe » (2008). Elle a créé en 2019 le « Trance Science Research Institute » avec une équipe internationale de chercheurs.

Elle conclut l’ouvrage par une ouverture sur les neurosciences. Suite à ces expériences avec les chamanes de Mongolie, elle développe l’entrée volontaire en transe (auto-induite sans recours à des tambours ou psychotropes ). Elle collabore en effet en tant que cobaye avec des chercheurs comme Pierre Etevenon, Francis Taulelle, Pierre Flor-Henry, etc. Sa démarche promeut une révolution scientifique dans le domaine de la maîtrise des facultés cognitives plus étendue, permettant une meilleure compréhension des mécanismes cérébraux.

Elle confirme que la transe est un état dissociatif non-pathologique, mais mieux encore, l’un des probables futurs outils de la psychiatrie.

Quant aux bénéfices potentiels de la transe, figure sa possible contribution à la réduction du déficit d’attention, aux problèmes d’anxiété, de stress, au traitement des psychoses, de la douleur, etc.

Conférence : Transe et Neuroscience – Corine SOMBRUN

L’électroencéphalogramme

Les sources

Images :

Médiarchie – Yves Citton

Yves Citton, professeur de Littérature et media à l’Université Paris 8 et codirecteur de la revue Multitudes, questionne dans l’essai Médiarchie, paru cette année, les relations sociales à travers les medias. mediarchieNous vivons dans des formes de sociétés pouvant être nommées « médiarchies ». A travers l’archéologie des media, il réunit explications rationnelles et superstitions afin de repérer leurs effets occultes que nous endurons mais qu’il est difficile de déterminer parce qu’ils nous sont devenus familiers. Les media structurent nos perceptions, nos pensées et nos actions. Ils sont situés simultanément entre nous, autour de nous et en nous. Souligner ce mode d’inclusion mutuelle entre les hommes et les media permet à l’auteur de révéler toute la puissance de la médialité. A travers les mots du sociologue Thierry Bardini, sociologue, Yves Citton explique que la médialité engendre inévitablement la médiumnité.

A travers l’histoire, l’électromagnétisme renvoie au spiritualisme. Thalès est le précurseur en Occident de la recherche liée aux phénomènes de magnétisme et d’électricité. Sa doctrine antique établit l’électromagnétisme comme l’âme du monde. Il faut attendre la fin du XVIème siècle pour qu’une distinction soit faite entre ces phénomènes physiques par William Gilbert. Dans la seconde partie du XVIIIème siècle, la médiarchie est un monde dans lequel les appareils techniques sont imaginés mais pas inventés. Le nouveau médium électrique est porteur d’espoir de guérisons individuelles et d’émancipations sociales. Ceux qui défendent cette vision sont favorables à la mise en résonance des corps et des esprits. Afin de propager leurs idées au plus grand nombre et d’éveiller d’autres formes d’esprit public, les magnétiseurs deviennent médiums. Ce concept pensé par les magnétiseurs « traduisait la puissante réalité, déjà en devenir, d’une mise en communication accélérée des pensées et des affects humains, doublée d’une production exubérante d’environnement artificiels capables d’électriser nos nerfs au-delà de nos seuils de confort. »

mesmerA partir du XVIIIème siècle, le médecin allemand Franz Anton Mesmer exprime des théories et pratiques thérapeutiques propres au magnétisme animal également nommé mesmérisme. Un fluide magnétique circulerait entre les éléments de l’univers, entre les humains et à l’intérieur de chaque corps. Le fluide universel est présenté comme « âme du monde, esprit de l’univers, influence céleste ou des astres, force de sympathie, qualité occulte » ou « spiritus mundi universalis ». Ce terme est repris par le navigateur Tardy de Montravel pour définir une forme de communication expliquant la résonance vibratoire entre deux esprits. Selon l’auteur de Médiarchie, cette période relève plus de l’illuminisme que de l’occultisme dans l’attrait pour les esprits, la communication et la communion. Au cours du XXème siècle, le terme Technical Delusion exprime la part occulte des media comme manipulateurs de consciences. Comme l’exprime Marshall McLuhan, la technologie électrique est une extension de nos systèmes nerveux. Le philosophe Daniel Bougnoux confirme les recherches en sociologie menées un siècle auparavant par Gabriel Tarde sur la fonction première de la médialité qui est la communication c’est-à-dire la synchronisation des vibrations, de sensations et d’émotions trans-individuels dans laquelle le je façonne le nous et le nous façonne le je. De l’Antiquité à nos jours, l’existence d’une forme collective d’intellect questionne. Nommé esprit universel par Tiphaigne de La Roche, âme collective par Hegel, noosphère par Teilhard de Chardin et médiasphère par Régis Debray, l’esprit public s’ajoute à la relation corps et âme, c’est « un souffle animant tous les êtres vivants, de façon collective, en deçà de tout choix rationnel, de toute volonté individuelle et de toute conscience morale. »

Avec les termes « dark media », « haunted media » et « weird media », le philosophe Eugene Thacker cherche à montrer la communication avec un au-delà, en effet les outils de médiation sont transcendés lors de leur utilisation. Ainsi par le medium technique, l’homme essaie de réaliser ce que le médium (la personne) promettait. edisonIl prend pour exemple les recherches de Thomas Edison sur le nécrophone, un outil susceptible de permettre une communication avec les morts, inspiré de concepts occultes et de notions scientifiques. Sa démarche s’inscrit dans une forme de vérification expérimentale et non dans celle de la croyance. Nous sommes à la fin du XIXème et la fonction de cette machine devait être de phonographier, c’est-à-dire de saisir les dernières paroles d’une personne et ainsi la réduire à un fantôme, à une âme errante. Le siècle suivant, les Electronic Voice Phenomena (EVP) de Konstantin Raudive – psychologue et ancien élève de Carl Jung – sont issues des expériences de Jürgenson. Ces enregistrements de fréquences radiophoniques, après multiples écoutes et enregistrements, mettent en évidence des voix errantes, des messages de l’au-delà. L’hantologie des medias se rapproche ainsi de l’idéologie du live (ideology of liveness) dans sa façon de saisir la vie dans ce qu’elle a de plus immédiat.

L’auteur insiste sur la puissance de chaque media à déterminer nos interactions. De plus, les media sont considérés radioactifs du fait de leurs fonctions d’enregistrement et de stockage et de leurs émissions passées dont les effets perdurent parfois de manière invisible.

———

Article rédigé par Marine Laborie