Espèce d’Espace: George Perec

Chaque jour, nous faisons face à l’espace, nous nous déplaçons et évoluons à travers lui. Il peut revêtir une forme physique, telle que la rue ou la feuille sur laquelle nous écrivons, ou une forme immatérielle, comme le bureau numérique sur notre ordinateur, où nous travaillons à la rédaction d’un document ou dans un environnement virtuel. Nous pourrions prendre l’exemple de Google Street View, un service qui nous donne l’impression de voyager partout dans le monde en un simple clic, grâce à des images à 360 degrés assemblées les unes avec les autres. Bien que cela reste une expérience visuelle et non tangible, constituée uniquement d’images matérialisées par une suite de calculs et de nombres, l’assemblage de celles-ci crée un espace, que ce soit par l’illusion du déplacement ou par ce qu’il offre à voir. Cependant, le terme « espace » demeure difficile à définir, car il peut revêtir différentes significations. Malgré cette difficulté, George Perec, dans son livre Espèces d’Espaces, tente de fournir une définition de ce qu’est un espace.

George Perec, écrivain français né en 1936 et décédé en 1982, a été membre de l’Oulipo, un groupe de recherche en littérature expérimentale fondé en 1960 par les écrivains Raymond Queneau et François Lionnais, auquel il a adhéré en 1967. Ce groupe avait pour objectif de révolutionner l’écriture en introduisant de nouvelles formes, structures et contraintes qui rompent avec les modèles établis jusqu’alors. Les exercices proposés par l’Oulipo ont fortement influencé le travail de George Perec, dont les thèmes récurrents dans ses écrits portent souvent sur les souvenirs, le temps, le passé, etc. Ces thèmes se retrouvent notamment dans son livre Espèces d’Espaces, un essai rédigé en 1974 aux éditions Galilée. L’écriture de cet ouvrage a été réalisée en réponse à une demande de l’urbaniste Paul Virilio, dans le but d’inaugurer sa collection intitulée « L’Espace Critique ».


Contexte du Livre

Georges Perec à travers son livre, il tente de définir la notion d’espace. Pour George Perec il n’existe pas un seul espace mais plusieurs.

« Il n’y a pas un espace, un bel espace, un bel espace alentour, un bel espace tout autour de nous, il y a plein de petit bouts d’espaces, et l’un de ces bouts est un couloir métropolitain ». (Page 16)

Il prendra l’exemple de la France qui est elle-même un espace délimité par un contour formé par de nombreux évènements (guerre, conflits,…) qui est lui-même formé de plusieurs petits ou grands espaces comme des villes tel que Paris, Pontoise,…

« Les espaces se sont multipliés, morcelés et diversifié. Il y en a aujourd’hui de toutes tailles et de toutes sortes, pour tous les usages et pour toutes les fonctions. Vivre, c’est passer d’un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner. »

Nous développons chaque jour dans différents espaces à la fois, qui se rejoigne tout en nous déplacent perpétuellement à travers ceux-ci. En partant de ce point de vue, George Perec analyse la manière dont ces espaces ce manifestes dans l’environnement qui nous entoure. Pour cela il découpe son livre en douze chapitres où il analyse avec sa propre expérience de manière précise les différentes caractéristiques qui constituent les différents espaces que nous avons l’habitude de fréquenter : la page, le lit, la chambre, l’appartement, l’immeuble, la rue, le quartier, la ville, la campagne, le pays, le monde et l’univers. Il analyse chacun de ces espaces avec une localisation précise, à la manière d’un guide, tout en faisant appel à ses propres expériences et en puisant dans ses souvenirs pour offrir une vision personnelle et détaillée. Il déclarera :

« Je garde une mémoire exceptionnelle, je la crois même assez prodigieuse, de tous les lieux où j’ai dormis ». ( page 41 (chapitre : le lit))

Montrant que l’observation personnelle joue un rôle important dans son analyse de l’espace. Il enrichit ses réflexions en se référant à la pensée d’autres écrivains, en fournissant des exemples pour soutenir ses idées, tout en utilisant des formes et des structures précises dans sa narration, comme l’écriture sous forme de liste, en lien avec son travail au sein de l’Oulipo. Bien que chaque chapitre apporte à lui seul une vision différente, sur les différentes caractéristiques que peut posséder un espace. J’ai sélectionné les chapitres de la page, de la chambre, de la ville et du monde, qui me semble le plus importants et qui permettent de voir ces lieux sur des échelles plus globales:


Chapitre: La page :

Il commence son étude d’espace par l’exemple de la construction d’une page. Un espace qu’en tant que écrivain et lecteur a devant les mains. Il explore à travers celle-ci les différentes structures éditoriales possibles, quel soit audacieuse ou ludique, et que l’on peut retrouver dans la page d’un livre. Il nous donne lui-même des exemples à travers la construction de phrases en verticale ou l’horizontale utilisant la structure de la page pour se construire.

« Je suscite des blancs, des espaces (saut dans le sens : discontinuités, passages, transitions). […] L’espace commence ainsi, avec seulement des mots, des signes tracés sur la page blanche. » (p.25)

Il joue avec la structure de sa page pour écrire son texte. La page est donc un espace qui est défini par les mots et espace qui le compose. Mais cet espace ne se limite pas uniquement aux mots mais le texte lui-même peut aussi permettre de construire un espace que nous pouvons visualiser sans pour autant qu’il soit tangible :

« Simulacre d’espace, simple prétexte à nomenclature : mais il n’est même pas nécessaire de fermer les yeux pour que cet espace suscite » par les mots, ce seul espace de dictionnaire, ce seul espace de papier, s’anime, se peuple, se remplisse » (p.29)

Un espace n’a pas besoins d’existé physiquement il peut aussi être suggérer. Un lieu qui ne pourrait être visible uniquement par notre pensée au fur et mesure que l’on feuillette les pages d’un roman par exemple.

Chapitre: La chambre

Il s’intéressera par la suite au lit, un lieu propre à chacun que nous côtoyons au quotidien, qui l’amènera à questionner l’espace de la chambre. Un lieu familier qui est lié à notre intimité, nos souvenirs et notre quotidien. C’est l’espace où nous passons le plus claire de notre temps à nous reposer :

« Les souvenirs s’accrochent à l’étroitesse de ce lit, à l’étroitesse de cette chambre, à l’âcreté tenace de ce thé trop fort et trop froid. […] L’espace ressuscité de la chambre suffit à ranimer, à ramener, à raviver les souvenirs les plus fugaces, les plus anodins comme les plus essentiels. » (p.43-44)

L’espace n’est pas seulement le lieu dans lequel on se déplace, il se défini aussi par les éléments qui le compose. C’est en visionnant chaque élément qui se trouve dans une pièce par exemple, que nous allons être capables de nous souvenir d’un lieu précis. Georges Perec par exemple se souvient précisément que son lit très étroit se trouve à gauche en rentrant et que dans le prolongement de celui-ci on peut retrouver une petite armoire-penderie. Un espace ce construit aussi par les souvenirs que l’on a de celui-ci.

Chapitre: La ville

Après avoir analysé l’espace de l’appartement, de l’immeuble, de la rue et du quartier. Il va s’intéresser à un espace plus large qui est celui de la ville, qui se compose de quartier, rue,… qui est donc moins précis que les espaces vu précédemment. Pour Georges Perec :

« Nous ne pourrons jamais expliquer ou justifier la ville. La ville est là. Elle est notre espace et nous n’avons pas d’autre. »

La ville n’existe pas en tant que simple environnement dans lequel on évolue. Elle existe aussi de par son contexte et son histoire qui lui a donné naissance. Il prend l’exemple de la ville où il vit Paris. Cette ville se nomme Paris car elle est la capitale de la France et représente aussi son pays. Elle a aussi existé pendant longtemps tout au long de l’histoire sous différents noms comme Lutèce ou la Gaule par exemple. Mais comme nous avons pu le voir Précédemment Paris se définit aussi par les différents souvenir que l’auteur a pu avoir de ce lieu, lieu permettant de ce rappeler la présence de certaines rues, quartiers, gare qui borde la ville. Un espace se défini donc à travers son histoire, son lieu géographique, mais aussi les souvenirs que nous en faisons.

Chapitre: Le Monde

Georges Perec après s’être intéressé à déterminer ce qu’était un pays va s’intéresser au monde. Le monde est un espace qui est plus large que la ville. Le monde étant tellement grand qu’il est difficile d’en connaître tous les recoins c’est seulement en l’explorant qu’il est possible d’en découvrir certains recoins. La géographie devient alors une aide à la perception de cette espace car elle va nous permettre de mieux nous rendre compte des différents espaces qui la compose :

« Le monde, non plus comme un parcours sans cesse à refaire, non pas comme une course sans fin, un défi à relever, non pas comme le seul prétexte d’une accumulation désespérante, ni comme une illusion d’une conquête, mais comme une retrouvaille d’un sens, perception d’une écriture terrestre, d’une géographie dont nous avons oublié que nous sommes les auteurs » (p.146)

Le monde n’est pas seulement un territoire à conquérir. C’est aussi une géographie avec une histoire, un contexte et un sens, que l’auteur nous pousse à explorer que ce soit à travers nos yeux ou travers les livres. Nous donnons sens à un lieu en reconnaissant sa complexité et notre rapport à celui-ci. Nous reconnaissons par exemple la terre comme notre monde, car c’est une planète où nous sommes nés, où l’homme a pu se développer et s’installer pour vivre, où nous avons pu de nombreuses expériences.


Conclusion

Pour Conclure, George Perec définis l’espace comme un ensemble de différents espaces qui s’imbrique les uns avec les autres. En interrogeant des lieux comme la rue, escaliers, pays, chambre,… par rapport à sa propre expérience et à notre propre expérience de lecteurs. Georges Perec interroge notre relation à la notion même d’espace. Ces différents espaces existe de manière plus ou moins tangible avec une géographie qui leurs est propre, un nom, une histoire, une forme, souvenirs… qui leurs permet d’exister et que l’auteur nous pousse à penser et à explorer :

« Notre regard parcourt l’espace et nous donne l’illusion du relief et de la distance. C’est ainsi que nous construisons l’espace ».

Mais ces espaces connaissent aussi des limites car ils sont éphémères :

« Mes espaces sont fragiles : le temps va les user, va les détruire : rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, l’oubli s’infiltra dans ma mémoire, je regarderai sans les reconnaître quelques photos jaunies aux bords cassés. »

Même si un espace peut sembler immuable le temps le dégradera tout même. Comme un mur qui se dégradera par les intempéries, le souvenir que l’on a de lieu s’effacera au fur et à mesure du temps nous faisant oublier son existence. Avec l’évolution du numérique, de nouveaux lieux émergent, que ce soit à travers des environnements tridimensionnels en 3D ou les espaces numériques où nous travaillons (l’espace de stockage d’un ordinateur, les logiciels,…). De plus, certains endroits subissent une transformation notable avec la prolifération de certaines technologies comme les caméras de surveillance, modifiant ainsi la perception traditionnelle de l’espace urbain. Les villes, autrefois considérées simplement comme des lieux d’habitation, deviennent désormais des espaces de surveillance, illustrant que la définition d’un espace ne se limite pas à ses dimensions physiques, mais englobe également les éléments qui le façonnent.


Source :

Biographie

https://www.fnac.com/Georges-Perec/ia6644/bio

https://www.pol-editeur.com/index.php?spec=auteur&numauteur=156

https://www.de-plume-en-plume.fr/membre/2590

L’oulipo:

https://www.oulipo.net/fr/historique-de-loulipo

https://www.radiofrance.fr/franceculture/goncourt-a-herve-le-tellier-qu-est-ce-que-l-oulipo-cette-litte-rat-ure-de-laboratoire-2357211

Espèce d’espace:

http://cafe-geo.net/litterature-geographie-espaces-d-espaces-georges-perec/

Images

https://www.fnac.com/a15789283/Georges-Perec-Especes-d-espaces-edition-augmentee-d-inedits

https://www.humanite.fr/medias/television/georges-perec-memoire-mode-demploi-739777

https://tpa.fr/actualite-theatre-paris/especes-d-espaces-de-georges-perec-111.html

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