L’humain augmenté, un enjeu social 

En novembre 2013, un article ayant pour titre « L’humain augmenté, un enjeu social » (Human Enhancement, a social stake, en anglais) est publié dans SociologieS, une Revue scientifique de l’Association internationale des sociologues de langue française. Rédigé par Nicolas Le Dévédec et Fany Guis, deux chercheurs de l’Université de Montréal au Canada, l’article traite du thème de l’augmentation humaine. Il vise à examiner les enjeux sociaux et les problèmes que l’augmentation humaine pose à la société dans laquelle nous vivons. Il envisage aussi les solutions possibles à travers une analyse de 3 différents mouvements de pensée : « transhumaniste », « bioconservateur » et « bioéthicien ». Enfin, l’article se termine par une analyse concrète de la signification sociale de l’augmentation humaine à travers deux cas spécifiques.

L’article commence en une brève introduction par analyser la signification de l’expression « Human Enhancement », « humain augmenté » en français. « “Human Enhancement” est l’expression aujourd’hui consacrée pour désigner l’“amélioration” technique des performances humaines, aussi bien physiques, intellectuelles qu’émotionnelles »[1]. À côté de cette expression anglophone, le philosophe Jérôme Goffette définit aussi le concept d’« anthropotechnie » comme : « Art ou technique de transformation extra-médicale de l’être humain par intervention sur son corps »[2]. Afin de bien comprendre le mot « augmenté » ici, on peut se référer à un autre article « Homme augmenté et augmentation de l’humain » dans lequel le terme « augmentation » désigne, « lorsqu’il se réfère à l’homme ou à l’humain, un ensemble de procédures, méthodes ou moyens, chimiques ou technologiques, dont le but est de dépasser les capacités naturelles ou habituelles d’un sujet »[3]. L’auteur énumère ensuite quelques exemples d’utilisation de la technologie pour améliorer des fonctions corporelles courantes dans la vie : la médecine anti-âge, la chirurgie esthétique, le dopage intellectuel. Ces diverses pratiques technologiques sont déjà disséminées dans tous les domaines de la vie. L’auteur met ainsi en évidence les nombreux effets (positifs) et inquiétudes (négatives) que l’omniprésence de la technologie a entraîné, faisant de l’amélioration de l’humanité l’un des principaux sujets de discussion de la société actuelle.

Dans ce qui suit, nous allons développer les différentes perspectives de l’autonomisation humaine qui existent dans la société et leurs implications.

Tout d’abord, le transhumanisme, parfois appelé « surmanisme », désigne « le mouvement intellectuel et culturel qui affirme la possibilité et la désirabilité d’augmenter fondamentalement la condition humaine à travers les nouvelles technologies » [4]. C’est désormais un mouvement culturel et intellectuel international qui soutient l’utilisation de la science et de la technologie pour améliorer la force mentale et phyique, les capacités et les qualifications de l’humain. Les transhumanistes soutiennent également l’utilisation de moyens artificiels pour surmonter des conditions humaines non désirées ou inutiles tels que le handicap, la maladie, la souffrance, le vieillissement et la mort accidentelle. L’examen des dangers et des avantages de ces nouvelles technologies, ainsi que les changements qu’elles apportent à la condition humaine, est également au centre du mouvement transhumaniste.

Comme mentionné dans un rapport intitulé « Converging Technologies for Improving Human Performance », publié aux États-Unis en juin 2002, « c’est un moment unique dans l’histoire des réalisations techniques ; l’amélioration des performances humaines devient possible par l’intégration des technologies »[5]. Ce rapport commandé par la National Science Foundation (NSF) et le Department of Commerce (DOF) aux États-Unis, donne un aperçu complet des quatre technologies les plus prometteuses pour l’avenir de l’humanité : la nanotechnologie, la biotechnologie, les technologies de l’information et les sciences cognitives. Selon la théorie transhumaniste, en intervenant dans les mécanismes de la vie elle-même, la technologie offrirait aux humains la possibilité de transcender leurs limites biologiques actuelles. Elle pourrait permettre l’évolution de l’homme d’un état d’asservissement physique à un état de libre choix. Le transhumanisme n’est toutefois pas une course effrénée à la technologie : ces défenseurs souhaitent également que les gouvernements jouent un rôle dans la limitation des effets négatifs des technologies. En même temps, il existe de nombreuses branches au sein du transhumanisme, tel le transhumanisme démocratique, l’impératif hédoniste, le singularitarisme, etc. Quelles que soient les écoles de pensée internes, elles ont toujours été fondées sur la conviction que l’amélioration de l’être humain permet à l’humain de « devenir plus fort, plus intelligent, plus heureux et de vivre plus longtemps, voire indéfiniment»[6].  

L’article traite ensuite du mouvement des bioconservateurs, appelés également « anti-mélioristes » ou « bioluddistes ». Ces derniers condamnent l’usage des nouvelles technologies. Le bioconservatisme a sa propre position sociale, politique et morale : il promeut la réglementation et l’abandon des biotechnologies que les bioconservateurs considèrent comme nuisibles, inhumaines ou immorales. Les cibles communes de la réglementation comprennent : la modification génétique (génie génétique) des cultures et des animaux (y compris les humains) ; le clonage thérapeutique et reproductif ; l’allongement de la durée de vie des cellules souches ; l’amélioration de l’être humain, y compris la modification des fonctions cognitives, etc. Les bioconservateurs pensent que l’utilisation servirait d’autres fins que celles, thérapeutiques, de rétablissement de la santé d’un individu ou de réparation d’un handicap. Ils estiment que l’amélioration des êtres humains constitue une menace pour les droits de l’homme. En d’autres termes, ils pensent que les technologies d’amélioration biomédicale peuvent conduire à la « déshumanisation » [7] de la nature. Les technologies pouvant porter atteinte à la dignité humaine et à la nature intrinsèque des êtres humains. L’universitaire américain Francis Fukuyama suggère également que chaque être humain est génétiquement doté d’un don qui fait de lui un être humain complet. C’est un don qui le distingue essentiellement des autres créatures. La complexité totale de la dotation, que nous avons essayé de préserver, a évolué pour éviter l’auto-modification. Nous ne voulons pas interrompre l’unité ou la continuité de l’humanité et les droits de l’être humain qui en découlent[8]. En résumé, la position du bioconservatisme s’oppose à l’utilisation de la biotechnologie pour modifier l’être humain et préconise des limites strictes à cette technologie.

© La Mutualité Française Occitanie

L’article examine ensuite une « nouvelle génération d’universitaires bioéthiciens ». Comme son nom l’indique, il s’agit d’un groupe de chercheurs qui étudient la bioéthique. C’est-à-dire des éthiciens des sciences biologiques et de la médecine. Selon le philosophe Carl Elliot, les bioéthiciens « rejettent à la fois l’approche « laissez-faire » prônée par les premiers et la condamnation radicale des seconds » [9]. Ils n’approuvent pas le développement effréné et vigoureux des technologies d’amélioration de la vie humaine. Cependant, ils encouragent au contraire l’idée de leur utilisation responsable et pragmatique. Les chercheurs de la bioéthique considèrent que le principe fondamental de la valorisation de l’humanité doit respecter la liberté et l’autonomie, dans un objectif de santé et de sécurité. Bien sûr, certains bioéthiciens réduiront l’échelle du jugement moral à la moralité des inventions médicales ou technologiques au moment où le traitement médical est administré à des êtres humains. D’autres étendent l’échelle du jugement moral à tous les actes infligés à des êtres vivants qui ressentent la peur et la douleur. En définitive, ces bioéthiciens libéraux se rejoignent essentiellement sur un terrain d’entente. Ils estiment que les technologies d’amélioration de l’être humain doivent être gérées de manière rationnelle dans le but de maximiser les avantages individuels et sociétaux et de minimiser les inconvénients de la prolifération. Cette troisième position est plus axée sur des questions spécifiques que le transhumanisme et le bio-conservatisme. Néanmoins, cette position repose sur le principe que les améliorations des performances humaines sont bénéfiques tant qu’elles sont gérées.

En combinant ces trois perspectives différentes, l’article propose de dépasser le mythe d’une utopie post-humaine engendrée par la technologie augmentée dans le processus continu de son application. Il invite à veiller au développement responsable des technologies augmentées dans un contexte réaliste.

Après avoir analysé ces trois théories de l’humain augmenté, l’auteur va plus loin en mobilisant deux exemples réels : la consommation de psychotropes et le recours aux nouvelles technologies reproductives. Est-ce que l’augmentation technologique entraine une amélioration de l’humain ou une médicalisation de la société, ou encore une instrumentalisation de l’humain ? Dans cette section, l’auteur analyse le médicament Ritalin (méthylphénidate) et plusieurs conceptions différentes de la fertilité, pour voir si la technologie est un moyen d’améliorer ou de traiter l’humanité, ou c’est juste un simple outil pour faire avancer le développement humain. Comme l’affirme Jacques Derrida, la technologie est le « pharmakon » de l’humanité. D’une part, la technologie qui améliore l’humanité peut être utilisée comme un « remède » ou un « propulseur » pour l’avenir de la société humaine. D’autre part, si elle n’est pas utilisée correctement, elle peut progressivement se transformer en un poison pour la société, plongeant l’humanité dans des problèmes physiques, psychologiques et sociaux. 

En conclusion, cet article présente les différents débats en cours sur l’humain augmenté et vise à mettre en évidence la dimension sociale du sujet. Tant l’utilisation de médicaments psychotropes que le recours aux technologies de reproduction mentionné dans l’article sont des manifestations de la médicalisation des questions sociales et de l’instrumentalisation de la reproduction. Le progrès social est l’une des parties les plus importantes du progrès humain. L’émancipation humaine passe d’abord par l’amélioration de nous-mêmes, puis par l’amélioration de nos conditions sociales, politiques et de vie. Si l’on se tourne vers l’avenir, la société de l’être humain amélioré ne sera pas la société hédoniste utopique conçue par les transhumanistes. De même, il est peu probable qu’elle stagne dans le contrôle extrêmement strict de la technologie tel qu’il est conçu par les bioconservateurs. Ce que nous devrions plutôt apprendre, c’est comment trouver une relation équilibrée entre l’adaptation au monde et la personnalisation de soi.


Bibliographie :

[1] LE DEVEDEC N. et GUIS F. (2013), « L’humain augmenté, un enjeu social », SociologieS, Premiers textes, 19 novembre, pp. 1, en ligne : https://journals.openedition.org/sociologies/4409

[2] GOFFETTE J. (2006), Les mots et les choses:Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines ». 

[3] CLAVERIE B. et LE BLANC B.(2013), « Homme augmenté et augmentation de l’humain », L’humain augmenté, PP.61-78.

[4] BOSTROM N. (2003), « Transhumanism FAQ: A General Introduction, version 2.1 », en ligne: humanityplus.org/philosophy/transhumanist-faq/

[5] ROCO M.C. et BAINBRIDGE W.S. (2002), « Converging technologies for improving human performance:Integrating from the nanoscale », Journal of Nanoparticle ResearchNetherlands, 2 Kluwer Academic Publishers.

[6] Le Dévédec N. et Guis F. (2013), « L’humain augmenté, un enjeu social », SociologieS, Premiers textes, 19 novembre, pp. 3, en ligne : https://journals.openedition.org/sociologies/4409

[7] BOSTROM N. (2005), « In defense of posthuman dignity », Bioethics, vol. 19. 

[8] FUKUYAMA F. (2002), Biotechnology: Our Posthuman Future: Consequences of the Biotechnology Revolution.

[9] ELLIOT C. (2005), « Adventure! Comedy! Tragedy! Robots! How Bioethicists Learned to Stop Worrying and Embrace their Inner Cyborgs », Journal of Bioethical Inquiry, vol. II, n° 1, pp. 21. 

« The appendix human » et l’humain augmenté

Depuis des dizaines de millions d’années, l’hominisation s’est accompagnée d’une évolution constante du corps humain et d’une recherche permanente pour une meilleure coexistence avec la nature. Au fur et à mesure de notre exploration incessante de la science et de la technologie, l’évolution des connaissances sur nous-mêmes et sur le corps humain ont ouvert des possibilités infinies pour la survie de l’humanité. Avec le développement de technologie, de nombreuses tentatives ont été faites pour surmonter, temporairement ou définitivement, les limites actuelles du corps humain par des moyens naturels ou artificiels. A ce titre, on parle souvent aujourd’hui d’« humain augmenté ». Dans cet article, nous nous intéresserons à la technologie humaine augmentée et aux nouvelles possibilités qu’elle ouvre à l’humanité à travers l’œuvre de l’artiste Paul Gong, The Appendix Human. Tout d’abord, nous nous pencherons sur cette œuvre pour en examiner le fonctionnement. Ensuite, nous en questionnerons les implications pour l’humain augmenté.

Cette œuvre est une installation plastique et vidéo qui tente d’explorer le nouveau rôle des organes humains ayant dégénéré ou perdu leur fonction. L’artiste utilise la structure vestigiale, l’appendice, comme protagoniste de cette expérience de pensée. En imaginant le rôle futur de l’appendice, il explore la possibilité de lui donner de nouvelles fonctions et de créer de nouvelles possibilités à travers la science et la technologie. Ce travail incite les gens à réfléchir à la manière de vivre plus harmonieusement avec l’organe corporel en évolution autant qu’avec l’environnement extérieur en mutation. L’artiste tente ainsi de créer des modes d’interaction plus propices à l’existence humaine.

La première partie de l’œuvre propose une étude de l’« appendice », tandis que la seconde partie esquisse une série de spéculations sur son avenir imaginaire, biologique et physiologique. Paul Gong s’appuie sur des sources anatomiques et médicales pertinentes, des traités et des ouvrages scientifiques pour étayer la validité logique de l’imagination conceptuelle. L’artiste aborde ensuite les possibilités futures et la faisabilité de la structure vestigiale « appendice » dans le contexte de la biotechnologie et de la philosophie de l’esprit. Il s’entretient respectivement avec le Dr Cao Cunhui de l’Institut de l’environnement futur de l’Université des sciences et technologies du Queensland, en Australie, et avec le professeur Lin Yingtong de l’Institut de philosophie de l’esprit de l’Université nationale Yang Ming, en Chine. En plus de l’interview vidéo, l’œuvre donne à voir au public les réactions physiques et psychologiques du corps humain, des structures d’organes imprimées en 3D, des menus spéciaux et des modèles alimentaires de l’appendicite. L’ensemble de l’installation tente ainsi d’amener le spectateur dans une situation complète et réaliste.

Alors, pourquoi l’artiste a-t-il choisi l’appendice comme principal objet d’étude ? Organe situé à l’avant du gros intestin, l’appendice est désormais presque inutile pour l’homme et peut même provoquer certaines maladies. Néanmoins, c’était autrefois un organe important pour nos ancêtres herbivores. Il porte notamment les bactéries symbiotiques qui aident l’homme à digérer la cellulose. Chez les animaux, les herbivores comme les vaches et les lapins ont encore de gros appendices, à l’inverse des carnivores. On pense également que l’appendice humain est fortement associé à l’action immunitaire. Il contient des bactéries intestinales bénéfiques qui soutiennent le système immunitaire, et contribue ainsi à maintenir l’intestin en bonne santé et à prévenir les infections. Afin de développer une compréhension systématique de l’appendice, les chercheurs ont collecté des données sur les environnements gastro-intestinaux et de croissance de 533 espèces de mammifères afin d’étudier son mode de présence dans l’organe biologique. Ils ont constaté que l’appendice en tant qu’organe pouvait avoir une valeur adaptative chez les mammifères, en augmentant la probabilité de survie de la progéniture. Les chercheurs ont également constaté que chez les animaux ayant un appendice, des concentrations plus élevées de tissu lymphoïde peuvent aider à stimuler la croissance de bonnes bactéries dans l’intestin. On a donc émis l’hypothèse que l’appendice a un effet positif sur l’immunité de l’homme.

Dans le chapitre 14 de l’Origine des espèces de Charles Darwin, il est mentionné que lorsqu’un organe devient inutile ou nuisible pour un usage donné en raison de changements dans ses habitudes, il peut vraisemblablement être modifié pour un autre usage. Un organe peut aussi vraisemblablement ne conserver qu’une seule de ses anciennes fonctions. Les organes initialement formés avec l’aide de la sélection naturelle peuvent dès lors subir de nombreuses mutations lorsqu’ils deviennent inutiles, leurs mutations n’étant plus inhibées par la sélection naturelle. L’œuvre The Appendix Human est la tentative d’attribuer une nouvelle fonction à un organe humain devenu « inutile ». Plus précisément, elle tente d’imaginer l’appendice humain comme un organe qui aide le corps à stocker les substances toxiques contenues dans les aliments. Lorsque l’appendice est rempli de substances nocives pour l’organisme, il peut être retiré pour être nettoyé ou remplacé par un nouvel appendice. L’appendice se voit alors attribué une nouvelle fonction bénéfique pour le corps humain. Son annexion ouvre ensuite davantage de possibilités de choix alimentaires pour l’homme. L’artiste a par exemple créé un menu pour l’appendicite : pétales de fleurs et brindilles pour l’entrée, porc cru aux graines de tournesol pour plat principal, et cire d’abeille et glace pour le dessert. Ces menus sont également exposés au cœur de l’installation, dans des boîtes de Pétri.

L’œuvre cherche également à analyser l’impact de la « transformation » du corps humain par la technologie. En termes de philosophie de l’esprit, la subjectivité humaine et la conscience de soi se forment par la perception corporelle. Lorsque la technologie commence à interférer avec le corps humain, la subjectivité humaine commence donc à être remise en question. La quête d’organes plus sophistiqués ne serait-elle pas plutôt une dégradation du corps ? Comment ces organes et corps modifiés doivent-ils reconceptualiser le monde ? L’interview vidéo d’un « appendix human » tente de répondre à ces questions. Les images y sont fraîches et légères, l’humain appendice parle sur un ton détendu et calme des changements physiques et psychologiques survenus depuis sa transformation. Dans l’entretien avec des chercheurs, il est également mentionné que les humains sont plus altérés psychologiquement que physiquement par la transformation. En outre, étant donné que les humains ont transformé leur corps par des moyens technologiques, la façon dont ils se rapportent à leur corps va également changer. Au lieu de juger l’état du corps sur la base de l’auto-perception, ils sont censés comprendre leur corps et leurs organes dans une perspective scientifique.

The Appendix Human Video, 2019 (side by side)

Dans The Appendix Human, Paul Gong adopte un point de vue divin sur l’évolution et fait des prédictions et des manipulations audacieuses. Il révèle de nouvelles possibilités pour l’humanité et la vie grâce aux technologies émergentes qui permettent de dépasser les limites du corps naturel. Mais d’un autre point de vue, de la même manière que nous recherchons un matériel plus performant lorsque nous achetons un ordinateur, cette manipulation menace de faire du corps humain une arène d’ambition et de contestation du pouvoir. Pour l’instant, nous pouvons penser que ces idées sont trop fantaisistes, car la transformation du corps humain nécessiterait une technologie extraordinaire. La civilisation humaine n’a pas encore atteint ce stade. Mais ces idées n’ont pas vraiment besoin d’être étayées par une technologie viable. En effet, dès que de telles idées émergent, elles bouleversent nos perceptions et notre compréhension du monde. L’artiste parle de cette angoisse sur un ton plus léger, comme pour faire écho et contredire la conclusion du livre de Michel Foucault de 1966, Les mots et les choses : « L’homme sera effacé comme un visage sur la plage ».

D’une certaine manière, nous pouvons également considérer l’organe humain comme un «outil» biologique inhérent à l’être humain. Le corps humain évolue à mesure qu’il devient plus habile à utiliser ses propres « outils » (par exemple, ses membres supérieurs) et qu’il s’adapte à l’environnement dans lequel il vit. En ce sens, les changements dans la fonction de l’appendice sont également le reflet de l’évolution humaine. De même, la fonction du muscle du bras long, la dent de sagesse, la troisième paupière, le muscle pyramidal ont été affaiblis ou modifiés.

De ce point de vue, l’évolution continue de la fonction des organes est une tendance inévitable du développement humain. L’amélioration de l’être humain n’est qu’une des façons dont la technologie a été utilisée pour faire progresser le processus humain. Par conséquent, nous devons faire face aux possibilités et aux effets (positifs ou négatifs) de l’amélioration humaine, que ce soit par des moyens naturels ou artificiels.

Dans cette œuvre, l’artiste montre au spectateur les vastes possibilités et les effets positifs que l’amélioration de la condition humaine apporte au corps humain. L’appendice, avec sa nouvelle fonction, n’est plus source de souffrance humaine. Au contraire, il devient un « outil » ayant une fonction de recyclage dans le corps. Les gens peuvent utiliser la technologie pour prendre le contrôle de leur appendice, le nettoyer, le remplacer et le jeter. Bien sûr, le « contrôle » total du corps par la technologie est certainement une vision idéalisée de la façon dont la technologie peut transformer le corps humain. Mais si nous étendons cette idée, les gens pourraient être en mesure d’optimiser la fonction de n’importe quelle partie de leur corps grâce à la technologie. Si cette idée n’en est pour l’instant qu’au stade théorique, il existe déjà de nombreux exemples d’utilisation de moyens naturels ou non-technologiques pour améliorer les performances humaines. Par exemple, les athlètes pratiquent de manière répétée leur spécialité pour s’améliorer dans divers domaines tels que la vitesse et l’agilité. Il s’agit d’un exemple de personnes utilisant leurs « outils naturels » et essayant de dépasser leurs limites physiologiques.

Enfin, un nombre croissant d’artistes introduisent l’idée de l’humain augmenté dans leur travail. Et certains la mettent même en pratique. Neil Harbisson, l’artiste cyborg britannique, est l’un des artistes ayant adopté l’adaptation technologique. Atteint de daltonisme, il s’est fait implanter en 2003 une antenne avec une webcam dans le crâne. La caméra décompose chaque couleur capturée en 360 ondes sonores différentes, de sorte que Harbisson peut « entendre » les différentes couleurs dans son oreillette. Il est ainsi devenu le premier cyborg légal du monde. Il lui a fallu des semaines pour s’acclimater aux sons correspondant à chaque couleur, et des mois pour surmonter les désagréments physiques tels que les maux de tête causés par l’implant technologique. 

L’humain augmenté – FUTUREMAG – ARTE

Toutefois, lorsqu’il évoque les nombreux effets de la transformation technologique, il souligne qu’il est rapide d’accepter le changement en soi, mais que c’est l’acceptation des autres qui constitue le véritable défi. Cet exemple montre qu’il est déjà possible, d’un point de vue technologique, d’augmenter certaines fonctions du corps humain. Mais au-delà de la commodité de la technologie, nous devrions également prêter davantage attention aux problèmes psychologiques et sociaux liés à l’amélioration des êtres humains. C’est ce que souligne notamment la série télévisée Black Mirror, qui aborde des thèmes liés à la relation entre l’être humain et la technologie, notamment les effets secondaires de l’utilisation des nouvelles technologies. L’épisode Retour sur image, dans la première saison, est une discussion sur l’évolution de l’éthique de la technologie.

En Conclusion, l’évolution de l’humain ou processus d’hominisation s’accompagne souvent d’une dé-fonctionnalisation des parties du corps ou de diversification des fonctions de nos organes. Alors que nous essayons de donner plus de possibilités aux organes, nous devons être prudents quant à l’impact multiforme de l’amélioration humaine sur l’humanité. Comme le laisse entendre la notion de « Pharmakon » chez Jacques Derrida et Bernard Stiegler, la technologie est à la fois un remède pour l’humanité, mais c’est aussi un poison. D’un côté, nous devons développer la technologie pour ouvrir plus de possibilités pour notre propre développement et pour mieux vivre avec la nature. Mais d’un autre côté, nous devons également faire progresser la recherche sur l’impact de l’amélioration de l’homme et ne pas être trop obsédés par les bonds en avant que la technologie peut apporter à la société humaine.

Bibliographie :

• FOUCAULT M. (1966), Les mots et les choses:Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines ». 

• DARWIN C. (2013), L’origine des espèces, Paris, éditions du seuil.

• VLACHOPOULOU X. (2018),« Addiction au virtuel : l’inquiétante étrangeté, le pharmakon et le corps », L’Évolution Psychiatrique, Vol. 83, Issue 1.

• KURZWEIL R. (2003), « Pharmakon », Ars Industrialis, en ligne : https://arsindustrialis.org/vocabulaire-ars-industrialis/pharmakon

MAGIE ET TECHNO-ESOTERISME : Radio Mycelium par Martin Howse

Martin Howse, né à Londres et basé à Berlin, mène des enquêtes artistiques sur les liens entre la terre, le logiciel et la psyché humaine. Il propose un retour à l’animisme dans un détournement critique de la technique scientifique. Au sein d’oeuvres d’art, de textes, de performances, de laboratoires, de promenades et d’ateliers, il expérimente et explore les liens entre substance et matériaux, exécution et protocole, et les problèmes liés à la visibilité et à la dissimulation dans le monde. 

En 1998, il fonde le projet ap, un collectif de performance informatique travaillant avec les déchets électroniques. En 2005, son œuvre informatique environnementale ap0201, installée dans le désert de Mojave, a reçu le premier prix du concours VIDA 8.0. Et depuis dix ans, il a mis sur pied plusieurs projets de laboratoire ouvert, et a présenté de nombreuses expositions, conférences, publications et performances. Son travail est fortement improvisé, jouant de l’effondrement d’équipements et de logiciels récupérés. Ceux-ci rendus manifestes par le son, le bruit et l’image. 

Très récemment en 2021, il développe une série de petits modules appelés ERD« Earth Return Distortion ». Leur but étant d’infecter le monde des synthétiseurs Eurorack avec une nouvelle sensibilité artistique radicale. Il en existe plusieurs sortes, tous assemblés à la main et vendues numérotés en édition limitée. All the Colours of the Noise est un module ERD inspiré de l’Ouroboros, serpent ou dragon qui se mord la queue. Comme le symbole, il met en tête à tête deux sources de bruits, deux filtres cadencés, deux jeux de registres etc… ERD/BREATH quant à lui, contrôle la tension et produit de la chaleur. Il est conçu notamment pour invoquer ou faire des offrandes aux démons artificiels ou bienveillants (avec résines, herbes, encens etc…). Un autre module, ERD/ERD Necromanteion fonctionne avec de la terre collectée dans trois lieux où sont morts des oracles grecs antiques. Enfin, ERD/ERD raven est un module sur la sensibilité de toute chose végétale, mais plus encore, les minéraux et champignons etc… il contient de la terre provenant de la tombe d’Edgar Allan Poe au cimetière de Westminster. Dans The Fall of the House of Usher, Poe a décrit en détail comment la terre et toutes les « choses végétales » créent la psyché et la sensibilité. La terre contenue est rendue audible et psychiquement influente. Et des modules comme cela, il en existe encore de toute sorte.

Un autre de ses projets majeurs, Dissolution (2016), va décoder d’anciens textes, emblèmes chimiques et littéraires et s’en inspirer pour dissoudre la technologie actuelle. Martin Howse analyse les éléments alchimiques et scientifiques mais aussi hautement symboliques et les applique au cycle industriel des machines. Par exemple le premier emblème qui va l’obséder représente trois animaux et une fontaine. Il en existe plusieurs versions toutes anonymes, ce qu’il trouve amusant car il les compare aux logos que l’on observe à répétition depuis des siècles sans en connaitre l’origine. Ici, on peut observer un oiseau, un aigle, un crapaud et la représentation d’une fontaine. Il va s’inspirer de ces emblèmes comme des étapes à la dissolution de la technologie. Il interprète la fontaine comme une pluie d’acide et à travers son processus, il opère littéralement à un retour à la terre de la technologie. 

L’oeuvre qui m’intéresse particulièrement ici, c’est Radio Mycelium (2017). Une plateforme modulaire de recherche sur la radio mycélienne. Ce projet est conçu pour la Mycelium Network Society et installé à la Biennale de Taipeh en 2018. Avec la participation de 17 personnes, Martin Howse forme un réseau de performance radio inter-espèces, humain et champignons. Le dispositif comprend 17 modules de transmission qui s’échangent des informations, entre les variations à petite échelle des champignons et des humains, et les fréquences radio à large bande. La communication se forme autour des changements de résistance électrique. Les petits modules prennent aussi en compte l’humidité locale, la température et les signaux radio au sein des champignons, ce qui crée parfois des signaux riches, brouillant tous les autres signaux à proximité. Avant la représentation, les 17 artistes sonores ont construit des récepteurs radio et des antennes sculpturales. Bien qu’une grande partie soit improvisée, iels ont prévu une certaine dramaturgie en imaginant des actes dans la performances où certains signaux domineraient. Les artistes jouent également avec leurs propres approches des champignons. La performance est une collaboration entre les sensibilités électroniques et les royaumes extra-humains de la radiofréquence. 

« A mycelial network has no organs to move the world, no hands; but higher animals with manipulative abilities can become partners with the star knowledge within me and if they act in good faith, return both themselves and their humble mushroom teacher to the million worlds all citizens of our starswarm are heir to. » (Terence McKenna, “The Mushroom Speaks”) 

Les champignons ont en effet un réseau de communication souterrain, qui s’étend à travers l’immensité du substrat terrestre, agissant avec l’intelligence écosystémique pour former des interfaces à travers des réseaux de bavardage racinaire.
Lors de l’exposition, on peut voir de drôles d‘installations avec des champignons comme un jardin suspendu de réception et de transmission. Sur les radio, on entend des ondulations des lignes électriques, impulsions basse fréquence, déphasages manifestes etc… Les champignons choisis, comme le Lingzhi ou le Reishi, ont une réputation importante dans la mythologie de l’Est ou pour leurs vertus magiques. 

Cette performance agit comme une théologie électrique. L’électricité comme une lumière, réveille l’âme qui parcourt les veines, les racines et la matière. Unissant l’homme aux plantes et à toute chose. Derrière le voile de la science et de la mesure, la communication électronique plante/champignon suggère une nouvelle forme d’animisme contemporain. Et le temps de la performance, Martin Howse confère à l’espace de la galerie son propre réseau.

MAGIE ET TECHNO-ESOTERISME : Techno-chamanisme & cyber-primitifs par Maxence Grugier

Maxence Grugier est un journaliste spécialisé dans les pratiques artistiques numériques. Depuis les années 90, il étudie l’impact des technologies numériques sur nos sociétés (IA, Big Data, réalité virtuelle, robotique, etc.) et écrit à ce sujet dans le domaine de la création artistique et de la production sonore. Anciennement rédacteur en chef du mensuel Cyberzone (1999 – 2001), il écrit pour Le Monde, Coda, Trax, Tsugi, Computer Art, etc. Il a grandement participé à vulgariser les réseaux et de la cyberculture en Europe, grâce à ses propres écrits ou aux traductions qu’il a fait de textes sur la contre-culture qui n’étaient pas accessibles en français. La revue CyberZone dont il est le rédacteur en chef, est un magazine au style cyberpunk, érotique et trash, à l’opposé de certaines tendances culturelles élitistes et mondaines de l’époque. Dans les années 90, il inscrit son journal dans un courant culturel qui regroupe de façon assez anarchique le cyberpunk, les musiques électroniques, les nouveaux païens, les images numériques etc. Il affirme ne pas faire de différence entre cultures et « sous-cultures », selon lui, tous ces concepts, toutes ces idées, sont interessant.e.s par leur existence même faisant partie intégrante de son univers informationnel et donc de sa culture :

« Je crois sincèrement que ces cultures sont en train de pénétrer la culture générale. Le cyber, c’est forcément l’avenir. » 

Très inspiré par des auteurs de science-fiction et cyberpunks comme William Gibson, Bruce Sterling, Neal Stephenson, Pat Cadigan, il questionne le devenir de la contre- culture et des sub-cultures, ainsi que sur l’impact du numérique dans notre environnement culturel et social. Il s’accompagne également des ouvrages de théoriciens des médias tels que Alvin Toffler, Norbert Wiener, Marshall Mc Luhan. Maxence Grugier cite également des essayistes plus « doux dingues », ce sont ces termes, tels que : Timothy Leary, Douglas Rushkoff, Terence McKenna et Jaron Lanier qui traitaient du futur de manière très libérée, et barrée.

L’article « Techno-chamanisme & cyber-primitifs » paraît à l’origine dans le magazine Cyberzone (99-01) et est aujourd’hui tiré des archives de La Spirale. Il s’agit d’abord d’un Fanzine vidéo puis d’une lettre d’information photocopiée, qui a exploré plusieurs supports médiatiques avant de s’incarner définitivement dans le cyberespace en 1995. Le techno-chamanisme (ou techno-paganisme), il le définit comme : « la rencontre entre la magie de l’antiquité, les sciences de la nature primitive et les technologies du futur en une symbiose quasi-religieuse. C’est le mariage du courant new-age californien (avec son ensemble de croyances néo-païennes), de la technologie digitale et des contre-cultures informatiques qui a donné naissance au concept de techno-chamanisme. » En plus simple, il s’agit d’un mouvement qui imprègne tout l’univers d’Internet et du web, et rejetant toute opposition dualiste entre Nature et Technologie, et ne faisant pas la différence entre les ordinateurs et les autres manifestations naturelles, issues de la main de l’homme ou directement du big-bang. Le mysticisme étant nourri par toutes les consciences reliées par le réseau informatique mondial. 

 « Toute technologie suffisamment développée se confond avec la magie. » (Arthur C. Clarke, auteur de science-fiction). Si l’on considère la magie en général comme une volonté d’élargir sa conscience ou de l’ouvrir à d’autres plans (physique, comme d’autres dimensions, ou métaphysique), elle n’est pas incompatible du tout avec les technologies. D’un point de vue plus philosophique, le techno-chamanisme peut être une tentative de comprendre les bouleversements technologiques et donc affectifs sur le XXe siècle. Donner une place au sacré dans notre monde permet de balancer avec les conclusions cartésiennes et froides de la science. Steve Mizrach (sur son site, The Cyber-anthropologie Home Page), explique que le besoin populaire de sacré, de fantasme et de magie est tellement présent que la plus haute technologie n’est pas épargnée par un peu de scepticisme et de superstition : « Depuis le Siècle des Lumières, la raison instrumentale, armée de la méthode scientifique, a systématiquement démantelé la conception spirituelle du monde, à quoi elle a substitué la cosmologie de la science. Cernés par le rationalisme et le matérialisme, ceux qui pleurent la perte du sacré et se sentent démunis sans lui, ont adopté consciemment ou non, une stratégie curieuse, qui est de justifier leurs croyances en termes scientifiques » (Mark Dery, Deus Ex Machina) 

Le techno-chamanisme fait le pont entre la contre-culture psychédélique des années 60 et celle informatique, virtuelle et cyberdélique des années 90. Cyberdélique est un terme englobant toute expérience psychédélique atteinte par les moyens d’une technologie immersive de pointe. Maxence Grugier développe ensuite sa réflexion sur la magie assistée par ordinateur. Il nous présente quelques nouveaux moyens auxquels les gens ont recours pour pratiquer leurs rituels ou se connecter à leur communauté. De nombreux groupes ou BBS (bulletin board service) sont nés, permettant de partager son expérience, poser des questions, ou simplement se réunir. Ces plateformes font quasiment office de nouveaux temples de l’ère informatique. On peux citer : 

  • alt.pagan
  • Deus Ex Machina
  • Ritual Magick On Line 
  • Modem magick
  • Sacred Grove
  • le site bapho.net 

« Depuis toujours, la spiritualité est affaire de lieu (…) Que devient donc le sacré à une époque où la communication instantanée rend caduque l’idée même de géographie ? Il se matérialise dans d’autres lieux : les sites informatiques. Ceux-ci tiennent lieu de lieux dans le réseau » (Jullian Dibbel, Spin)

« Car là où deux ou trois se rassemblent en mon nom, là je suis parmi eux. » (Verset de l’Ancien Testament, Matthieu, 18 – 20) 

Le techno-chamanisme puise son inspiration dans la science-fiction, le roman cyberpunk Comte Zéro par William Gibson possède sa propre mythologie informatique originale, fusionnant les anciens rites haïtiens et les nouvelles technologies. L’auteur parvient à faire cohabiter le monde primitif, mystique et organique du vaudou, et le monde désincarné, mécanique et éthéré de la culture high-tech. Sans oublier les transes électroniques et tout l’univers des raves très présents sur la scène Britannique et lié au genre techno-hippie et à l’Acid House. La plupart de ces groupes véhiculent l’idée que la musique rythmique contemporaine permet d’atteindre l’état de transe et d’entrer en contact avec d’autres mondes et que le musicien est un néo-chaman, faisant l’intermédiaire entre notre monde et les autres en ouvrant l’esprit de ceux qui écoutent sa musique  : « L’âme des machines a toujours été une bonne part de notre musique. La transe a toujours suivi la répétition, et tout le monde recherche la transe dans la vie… dans le sexe, dans l’émotion, dans le plaisir, partout… et les machines produisent une forme de transe absolument parfaite. » (Ralf Hãœtter, Kraftwerk : Man Machine and Music, de Pascal Bussy, 1991). On retrouve dans les musiques du techno-chamanisme, des rythmiques tribales, rituelles, des textes inspirés de l’occultisme. Certains groupes très influents comme Psychic Tv, Coil ou Current 93 reprennent un fonctionnement quasi similaires aux « sociétés initiatiques » et les lieux de concerts sont hautement symboliques (églises, anciens lieux de culte païens ou locaux de structures magiques). Psychic TV est le premier groupe à intégrer la voix d’Aleister Crowley dans ses morceaux, grand occultiste et fondateur de la religion Thelema. 

A la fin des années 70 apparaît un nouveau courant occultiste, La Chaos Magick . Il s’agit d’une forme de magie post-moderne utilisant dans ses rituels des éléments de la société hyper moderne, oeuvres fantastiques, langage informatique etc.. A l’origine de la Chaos Magick, on trouverai des artistes assez méconnus comme Austin Osman Spare (1886-1956), un peintre, écrivain et théosophe britannique. Inspirant par ses travaux symbolistes, à l’érotisme violent et aux références occultistes. Il fût d’ailleurs en contact avec Aleister Crowley. Austin est aujourd’hui connus pour ses dessins et écrits automatiques. Pour les magiciens du chaos, les croyances sont de simples outils, qu’on est libre d’adopter en vue de la réalisation d’un but, sans qu’on s’intéresse à la question de leur valeur intrinsèque ou de leur adéquation à la réalité. L’informatique, Internet et les mondes virtuels permettent de s’affranchir de ces limites. Pour se libérer, il faut se déprogrammer en atteignant un état mental limite où la conscience cède le pas à l’inconscient : nous retrouvons une thématique chère aux néo-chamans. Tous ces sujets sont pas mal ignorés par les milieux universitaires français, notamment les milieux subculturels anglo-saxons « underground ».

Le techno-chamanisme bien qu’hyper-moderne, cherche à concilier primitivisme et modernité technologique. Dans la continuité de certaines pensées postmodernes : « la synergie de l’archaïsme et du développement technologique » (Michel Maffesoli). Et bien que je puisse me montrer parfois très conservateur.ice de certaines traditions concernant l’ésotérisme, je trouve assez beau d’explorer les limites de telles oppositions, bien que justement iels n’y voit aucune opposition ici. Et quoiqu’il en soit, on peux observer qu’aujourd’hui le sacré, reste bien vivant dans la machine.