Origine du Street Art et du graffiti
En remettant dans le contexte actuel, que ce soit sous forme d’expositions en galerie ou à ciel ouvert, de ventes aux enchères ou de répression pour vandalisme, «il ne se passe pas une semaine sans que les médias ne relatent un événement lié aux arts urbains.» [Graffiti, Street Art, Muralisme … et si on arrêtait de tout mélanger ?], notamment depuis le succès de Banksy.
Pour comprendre l’origine du Street Art, il faut remonter à l’apparition du graffiti. Ce dernier prend son essor avec l’arrivée de la bombe aérosol, dans les années 60 et «procure à la jeunesse désabusée des années 70 et 80 un outil particulièrement efficace pour laisser des inscriptions sur les murs de nos rues ordinaires, considérées jusque-là comme des non-lieux d’art.» [Ibid.].
«Les premiers adeptes [,anarchistes en général,] du graffiti à la bombe aérosol inventent une culture à part entière et la qualité perçue de leurs interventions repose d’abord sur la bravoure. La performance est liée à une forme de transgression et de provocation dans l’espace public, et la finesse de leur calligraphie est poussée à l’extrême, jusqu’au cryptage.
[…] Leur but est de plaire à leur groupe de référence, et de déplaire au corps social qu’ils entendent provoquer. Une logique tribale les conduit à l’appropriation de l’espace public, sorte de réponse à l’urbanisation galopante, et à une société en mutation rapide dont ils se sentent exclus.»[Ibid.]
La particularité de leur marquage accentue aussi la «désapprobation générale» puisqu’il consiste avant tout à l’apposition de pseudonymes en répétition et dont le sens ne peut être compris que par ces adeptes.
«Ces premières générations, à quelques exceptions près, n’entendent pas faire commerce de leur art, strictement lié à la contestation sociale et la performance artistique physique. Ils interviennent sans autorisation, pour la «beauté du geste», sans souci de reconnaissance sociale, bien au contraire.
Il s’agit d’un style de vie pour une génération désintéressée qui cherche à se réapproprier l’espace public et remet en cause la propriété privée. L’art de cette première génération graffiti est rapidement qualifié par le public et les autorités de «vandalisme», pour ses dégradations et sa dévalorisation du bien public.»[Ibid.]
Cependant l’opinion médiatique va radicalement changer vers les années 2000, époque où l’ordinateur et Internet font leur apparition. En effet, ces innovations technologiques vont ouvrir de nouveaux champs aux artistes.
Dans le cas d’Internet c’est l’ouverture de «l’hypermédiatisation» aux jeunes artistes, «c’est-à-dire la possibilité de court-circuiter les médiateurs habituels de l’art : journalistes, critiques, curateurs et galeristes. Ils investissent ce nouveau «non-lieu» d’art qu’est Internet.»[Ibid.]
Et c’est ainsi que naquit le Street Art : de cette «volonté de faire des graffitis pour un public plus large». Et parmi les trois facteurs qui ont tendance à définir ce qu’est le Street Art, entre l’intention et la légalité, le public en fait partie.[Street Art : comment un mouvement est passé du graffiti au monde l’art]
Christian Gerini, «Le street art, entre institutionnalisation et altérité»
Christian Gerini est agrégé de mathématiques et maître de conférences en philosophie et épistémologie à l’université de Toulon. Depuis plus de trente ans, il photographie les œuvres du mouvement Street Art, étant lui-même à la fois passionné d’art et artiste.
«[…] l’importance prise par Internet et la vitrine qu’il offre pour des individus qui démultiplient leur visibilité dans l’espoir d’une reconnaissance, et donc d’une possible valorisation et marchandisation de leurs œuvres. Ce changement dans les moyens de communication a eu, les spécialistes du street art s’accordent là-dessus, une influence pas nécessairement heureuse sur la spontanéité et la gratuité du geste qui jusqu’à la fin des années 1990 donnait son sens spécifique à l’art urbain illégal et souvent qualifié de vandalisme.»
Christian Gerini, Le street art, entre institutionnalisation et altérité, dans Hermes, La Revue, 2015/2 (n°72), page 110
À partir de cet extrait, trois différents artistes et leur œuvre seront présentés puis confrontés à la critique de Gerini.
PBoy et son œuvre : «Papa, c’est quoi l’argent ?»
La première œuvre «Papa, c’est quoi l’argent ?» a été réalisée par l’artiste PBoy. De son vrai nom Pascal Boyart, c’est un artiste peintre français qui a débuté en tant que graffeur avant de se spécialiser un peu plus dans la fresque monumentale, avec un style proche du pointillisme et mettant en avant l’expression du visage et du regard.[PBoy | Pascal Boyart]
«Papa, c’est quoi l’argent ?» est une fresque murale réalisée sans autorisation à Paris en 2018. Au premier abord cette œuvre ne semble pas avoir de particularités hormis son style pointilliste, pourtant sur le côté droit de la fresque, on aperçoit un QR Code réalisé avec un pochoir et avec en titre «Dons en Bitcoin». Fonctionnel ce QR Code permet d’envoyer des dons à l’artiste en Bitcoin, une monnaie virtuelle, du moment que l’on est muni d’un smartphone et d’un compte de cryptomonnaie pour transférer directement l’argent.
Aussi, depuis Août 2019, la fresque a été «tokenisée» en NFT («Non Fongible Token» traduit en «Jeton Non Fongible»), c’est-à-dire qu’elle est devenue un «objet numérique» unique et durable, donnant ainsi une seconde vie à cette œuvre éphémère.
De ce fait, PBoy est considéré comme «le premier peintre muraliste à avoir proposé les dons en Bitcoin grâce à un QR code apposé à ses œuvres. Il est aussi le premier à avoir transformé ses fresques murales en jetons de collection numérique, dits ‘’NFTs’’».[Ibid.]
PBoy et l’extrait de l’article de Gerini ?
En mettant en lien avec l’extrait de Gerini on remarque les parallèles dès la première phrase :
«[…] l’importance prise par Internet et la vitrine qu’il offre pour des individus qui démultiplient leur visibilité dans l’espoir d’une reconnaissance, et donc d’une possible valorisation et marchandisation de leurs œuvres.»
Qu’est ce que l’on remarque dans l’œuvre de PBoy ? Que c’est une fresque, réalisée dans l’illégalité, mais cela n’a pas empêché l’artiste de la valoriser sous forme de dons de cryptomonnaie, ni de lui donner une existence numérique sous forme d’œuvre authentique et qui – vu que maintenant elle est inscrite dans l’environnement numérique – va s’inscrire aussi dans le temps et la durée, ce qui est là aussi paradoxal.
Les deux autres œuvres qui suivent ont un fonctionnement différent de celui de PBoy, elles seront donc présentées à la suite avant de d’être confrontées à l’extrait de Gerini.
INSA et son œuvre : la série des «GIF-ITIs»
Les «GIF-ITIs» de l’artiste graffeur anglais INSA est une série de graffitis photographiés en stop motion pour donner une image animée à la manière des GIFs. Très utilisées sur la toile, les GIFs sont des images animées qui forment une vidéo de quelques secondes et tournant en boucle. Dans le processus de création d’un GIF-ITI, l’artiste photographie l’avancée du graff, le retravaille pour ensuite réunir les images de chaque étape et en faire un GIF partagé sur le Web.
Ainsi, INSA propose de prendre le contre-pied d’un point souvent abordé dans l’art urbain : le caractère éphémère de l’intervention qui disparaît dans ses œuvres sauvegardées, disponibles et utilisables à l’infini sur la toile.
Aussi, l’artiste ne s’arrête pas là et propose à travers l’application – dont il en est le créateur – «GIF-ITI Viewer App» – de voir ses œuvres en réel et les voir s’animer en réalité augmentée depuis le smartphone.
Blu et son œuvre : «Muto»
Blu est un graffeur et vidéaste italien né dans les années 80 et est notamment connu pour son œuvre vidéographique «Muto».
«Muto» est un court-métrage de l’artiste Blu réalisé à partir de photographies de ses différentes peintures murales. Assemblé image par image, «Muto» raconte une étrange histoire entre ces interventions qui semblent, au fur et à mesure de l’animation, se déplacer à travers les murs, trottoirs et autres surfaces des villes.
D’abord une seule peinture blanche aux contours noirs, Blu les repeint, les recouvre de blanc pour leurs donner une impression de mouvement. À chacune de ses modifications, une photographie est prise pour saisir cet instant, avant de disparaître à son tour pour une autre retouche faite par l’artiste. Ainsi, là où un spectateur face à ces surfaces n’y verrait qu’une longue trace de peinture blanche, le vidéo-montage lui permet de suivre les retouches de l’artiste, ce qu’elles sont devenues ou vont devenir et ce qu’elles racontent.
INSA / Blu et l’extrait de Gerini ?
Par rapport donc à ces deux œuvres citées, on voit une autre version du Street Art influencé par le numérique et qui pourrait prendre un peu le contre-pied de l’extrait de Christian Gerini notamment :
«Ce changement dans les moyens de communication a eu, les spécialistes du street art s’accordent là-dessus, une influence pas nécessairement heureuse sur la spontanéité et la gratuité du geste qui jusqu’à la fin des années 1990 donnait son sens spécifique à l’art urbain illégal et souvent qualifié de vandalisme.»
Dans le sens où ces artistes intègrent le numérique directement dans leur œuvre et qu’elles ont besoin du numérique pour exister complètement, que ce soit sous forme de stop motion ou en reprenant les codes de la culture internet.
On pourrait ainsi en conclure que le Street Art sous l’influence du numérique est divisé un peu en deux catégories entre une contre-culture du mouvement en lui-même et de ses principes, et de l’autre l’avènement d’une nouvelle forme d’intervention urbaine.