La mé[moi]re dans la dimension numérique

Dans un monde où les espaces d’apparition et d’habitation se multiplient, la mémoire gagne un statut spécifique dans ces lieux. La mémoire devient multiple dans la dimension numérique tout en perpétuant le risque d’une disparition malencontreuse dû à la mort de l’individu ou la “mort” de la machine conservant ses traces. Le chercheur Davide Sisto aborde ces questions dans l’ouvrage Remember Me, écrit en 2021. Au sein de ce livre, l’auteur tente de donner une description de notre relation à la mémoire qui se relie à la peur de l’oubli dans la dimension numérique et le réel. C’est à travers des exemples, tels que les vidéos “récap de ton année 2023” proposées par Facebook aux utilisateurs, qu’il avance l’idée d’un passé qui n’est plus qu’une histoire que l’on se raconte. De cette manière, les archives de notre vécu, celles que nous partageons sur Internet, participent à la création d’une sorte de réseau global. Un réseau, dont les individus qui le composent cherchent à ranimer un passé altéré. Par ce biais, ils raniment également la mémoire des autres en consommant leur contenu. L’utilisateur semble ainsi  être dans une constante réécriture de lui-même. Il interprète son vécu déjà passé selon sa propre perception actuelle qui est elle-même influencée par le contexte qui l’entoure. Ainsi, cet ouvrage traite indirectement de l’angoisse d’être oublié, d’être remplacé et pire encore que son vécu soit raconté d’une manière qui n’est pas la nôtre.

Pour donner une vision globale de la recherche de l’auteur, nous allons survoler quelques chapitres de cet ouvrage divisés en 5 grandes parties :

  • Les réseaux sociaux et regarder en arrière
  • Des réseaux sociaux aux archives digitales
  • Autobiographies collectives des cultures et l’encyclopédie des morts 2.0
  • Rappel complet, l’immortalité numérique et le rétromania
  • L’héritage numérique et le retour à l’oubli

Dans son introduction, l’auteur commence par traiter de la manière dont la mort pousse la personne en deuil au détachement de tout ce qui le relie à ce qui a disparu. Elle s’éloigne des objets physiques et mentaux qui font un rappel. Au moment de la disparition, où une chose bascule vers le passé, ces objets physiques et mentaux font l’image de la disparition même. Elles sont la réminiscence d’une perte qui renvoie vers la réalité de la propre perte de soi dans le futur. Ces images, partagées pour s’en souvenir et pousser les autres à s’en souvenir, font osciller l’individu entre 2 pensées. Ces éléments du passé sont postés sur Internet avec la nostalgie d’un temps passant trop vite et qui nous désole sur notre mort future attristante. Mais, nous y retrouvons contradictoirement une acceptation de sa disparition qui engendre une productivité dans le fait de faire preuve de soi avant qu’il ne soit trop tard. Comme Davide Sisto le dit :

That copy, which according to Umberto Eco is relied upon by every human being who, aware of both their physical (‘I’m going to die sooner or later’) and mental weakness (‘I’m sorry that I’m going to have to die’), finds proof of that soul’s survival in the memory that remains of it.¹

Ce serait en oscillant entre ses deux pensées que l’individu poursuit sa vie et ranime sa volonté à continuer d’exister. Ce que la personne montre d’elle dans la dimension numérique est forcément altéré par les propres limites de sa condition humaine qui le pousse originellement à faire perdurer sa mémoire dans d’autres dimensions. Par peur d’oublier, l’utilisateur fait preuve de ses souvenirs et lutte contre l’oubli. Or, il y a nécessairement une perte, c’est-à-dire un oubli qui se fait de par la manière même dont elle se raconte aux autres. Cette perte se retrouve aussi dans l’interprétation du souvenir par l’autre qui laisse de côté des éléments de compréhension pour former un jugement. Dans cette introduction, l’auteur parle de la manière dont le partage de sa mémoire sur Internet change ce qu’on considère se souvenir et oublier. Le passé n’est plus une histoire racontée dans le présent, mais plutôt, comme une réalité autonome qui continue à se construire en parallèle avec le présent. Ses constantes interprétations et réinterprétations, font perdurer le passé dans le moment.

Dans cette première grande partie, divisée en quelques chapitres, Davide Sisto donne un point d’histoire rapide sur la création des premiers réseaux sociaux qui ont conduit à Facebook et Myspace. Ces réseaux deviennent des annales mondiales avec un contenu public consultable infini lorsqu’on la compare à la durée de vie humaine moyenne. Avec tout ce contenu rendu très accessible, le problème n’est plus un manque de quantité, mais la nécessité d’une sélection dans la masse comme le dit l’auteur en citant Michael S. Malone :

Although the association between MySpace and the birth of the era of social networks is erroneous, its capillary diffusion throughout the world leads to the broad acceptance of the opinion expressed by Michael S. Malone with regard to collective internet usage: ‘Memory is now free, ubiquitous, and almost infinite; what matters now is not one’s ownership of knowledge but one’s skill at accessing it and analysing it.²

Alors, qu’est-ce qui est à l’origine de l’investissement important fait sur ces espaces ? Il est possible que le fait même que nous nous y sentions aussi à l’aise participe au phénomène. Comme l’explique l’auteur, la facilité apportée à notre déplacement physique et mental dans la dimension numérique crée un certain point de passage entre le réel et le numérique. Cette facilité nous rend ces espaces numériques confortables à habiter plus longtemps et à s’y installer. Cette notion d’habitat provoque un fort attachement vis à vis des comptes, pages et tableaux de bord qui représentent nos en-vies. C’est à la fin de cette première grande partie que l’auteur évoque la multiplicité des archives au travers des réseaux sociaux utilisés par l’utilisateur·ice. Cette multiplicité rend très difficile la création d’une mémoire unique pour l’utilisateur. Sa mémoire est multiple comme des personas. Elles sont d’esthétique différentes selon le réseau et selon les objectifs voulus.

Dans la partie suivante, la question d’une autobiographie collective se pose, malgré les extensions de présence et de vécu qu’il est possible d’avoir dans la dimension numérique. Selon l’auteur, les avatars ne se substituent pas à notre présence, mais ils l’étendent à un nouvel horizon. Cette extension permet de trouver compagnie entre les uns et les autres sans être limité par les limites de nos corps organiques dans le réel. Ainsi, il est envisageable de créer une autobiographie globale en usant de ces nouveaux liens formés par le biais de nos présences dans les terrains de communication digitale. Les gestes collectifs faits au travers de nos avatars forment une unité face à certaines situations. Ce sont ses parallèles qui peuvent permettre de composer cette mémoire collective aux dépens de ce qui nous rend authentiques au niveau culturel, par exemple. Le risque éventuel de ce type d’autobiographie collective est cette perte. La destruction des nuances peut se faire tout en ignorant les vécus hors de cette collectivité, qui n’auraient pas le mérite d’être remarqués. Mais, cette liaison entre les mémoires se fait déjà indirectement car selon l’auteur :

As they write and record their own life stories on social networks together with the other two billion people like them, each one of them sums up the entire history of the universe.³

Puisqu’à chaque fois qu’un individu raconte quelque chose de lui sur Internet, il fait le résumé de l’histoire de l’univers. À chaque fois qu’il a un retour sur son passé, il s’inscrit, tout comme tous les autres utilisateurs, dans un comportement qui transcende les époques et les terres. Il reste cet être humain qui fait sens de ce qu’il entoure, de ce qu’il habite et tout ce qu’il va perdre sous peu. Dans ses partages, il y a une dimension nécessairement funeste, car chaque action est teintée par cette appréhension ou ce rappel de la disparition. Cette dimension funeste est dans les espaces habités comme Facebook devenu une encyclopédie des morts selon les mots de l’auteur. En parallèle avec tout ce qui s’ajoute, le contenu appartenant à des utilisateurs décédés continue à prendre place sur le réseau social. La mort du corps organique ne donne pas lieu à la mort des avatars et la suppression du contenu qui hante ces espaces. Comme en attente d’être activés par un autre visiteur qui peut lire, regarder, commenter. C’est au moment où la mémoire d’une personne défunte est activée après x temps par un utilisateur que le défunt frôle ce qui se rapproche le plus à l’infinie présence d’un fantôme.

Dans la troisième partie, l’auteur reprend le terme de “memobile” créé par Anna Reading pour décrire un outil technologique permettant de capturer, enregistrer et archiver le vécu sous différents formats et de manière continue. Ce “memobile” s’apparente énormément au smartphone qui contient assez d’information pour nous garantir une mémoire post-mortem, dans l’espoir qu’elle puisse être retrouvée par les générations futures. Or, la suppression éventuelle de cette mémoire, due à un accident technique ou machinique, est également un risque ambiant. Nous pouvons l’observer dans la manière dont certains peuvent se précipiter pour récupérer le stockage de leur téléphone avant son dysfonctionnement total. Davide Sisto avance l’idée que la suppression voulue ou accidentelle de ce contenu donne l’impression d’opérer une seconde mort et un abandon.Pour expliquer cette situation, il prend l’exemple de l’expérience d’un joueur de Rallisport challenge au pseudo de War Therapy. Dans son enfance, ce joueur jouait à ce jeu avec son père jusqu’au décès de celui-ci. Son père était le vainqueur indétrônable de leurs matchs. Ainsi, son score était enregistré comme le top score dans le jeu. Après des années, le fils s’est retrouvé à rejouer contre un joueur créé par le jeu ayant repris les performances de son père et son meilleur score. Il était, à nouveau, en train de rejouer contre son père. Il ne pouvait s’empêcher de le laisser gagner pour, indirectement, continuer à faire vivre la présence de son père. Comme l’auteur le dit :

As such, Wartherapy stops just before the finish line to stop his father dying a second time. Similarly, the reluctance to delete one’s own Facebook account or that, for example, of a dead child is bound to the fear of causing the death of one of our (in the first case) digital identities and, in the second, to repeat the grief endured in the offline dimension.⁴

L’attachement vis à vis de ces informations stockées permet de mieux comprendre l’anxiété qui peut résulter de leur perte ou modification.


¹ Sisto, Davide, Remember Me, 1st ed. 2021, Réimpression, Polity Press, 2021, chap. The Past is Just a Story We Tell Our Followers.

² Ibid., chap. Naked in Front of the Computer: Social Networks in the 1990s.

³ Ibid., chap. Copy and Paste: Writing About Oneself is Like Summing Up the History of the Universe.

Ibid., chap.  The Internet as a Melancholy Container of Regret: Hollie Gazzard, The Last Message Received, Wartherapy.⁴ Ibid., chap.  The Internet as a Melancholy Container of Regret: Hollie Gazzard, The Last Message Received, Wartherapy.

La mé[moi]re dans la dimension numérique

Suite à une probable catastrophe causant la disparition totale des civilisations humaines, que restera-t-il de nous dans un futur lointain et fantasmé ? À la fois source d’une recherche anthropologique et sujet de grands blockbusters hollywoodiens, la question s’ancre d’une manière ou d’une autre dans les esprits de chacun·e. Pour y répondre, Grégory Chatonsky imagine un scénario possible dans son œuvre intitulée Telofossils II réalisée en 2015. (Fig.1) Cette installation, exposée au Unicorn Art Center à Beijing, existe en différentes versions.

(Fig.1) Telefossils II, 2015, Gregory Chatonsky
installation, vidéos, moulages, sculptures, impression photos et tissus,
Unicorn Art Center, Beijing, Chine

Avant de nous concentrer sur l’œuvre, il est peut-être préférable de dire quelques mots sur les enjeux de la pratique de l’artiste. Chatonsky est un artiste-chercheur se démarquant par ses installations où il mélange moulage, vidéo et photographie. Ses œuvres s’inscrivent dans l’esthétique de la ruine au sein de la dimension numérique, que ses travaux les plus récents abordent par l’usage de l’IA. (Fig.2, Fig.3) Ainsi, notre rapport au passé et à ses restes se voit être un moyen de faire apparaître des identités perdues et imaginées pour lui.

(Fig.2) La ville qui n’existait pas (1895-1971), 2023, Gregory Chatonsky
(Fig.3) What would have occurred, 2, 2021, Gregory Chatonsky

Comme on peut le voir, l’installation se présente véritablement comme le musée miniature d’une civilisation disparue. Elle semble être très familière, voire identique à celle qui est majoritaire de nos jours. En effet, c’est ce à quoi l’artiste essaie de donner forme : le musée futur de la civilisation, plutôt occidentale, telle qu’elle est aujourd’hui. L’ensemble des éléments compose une sorte de mémoire collective de certaines communautés, tandis que d’autres ne sont pas représentées ici. L’artiste occupe le rôle d’un archéologue, qui aurait déterré des images enfouies dans les cartes SD et dans les stockages internes des machines devenus nos extensions. Il cherche, dès à présent, a ranimé quelque chose, susceptible d’être perdu, en cherchant ses traces à l’intérieur des machines, par les programmes et par tout outil technologique moderne que l’humain a pu utiliser pour étendre sa mémoire. Le lost footage est donc mis en exergue dans ce musée exposant principalement un type de contenu égaré et retrouvé par les générations futures. Ici, la catégorie de lost footage met en perspective dans l’œuvre une dimension plutôt intime, avec des formats de prise de vue similaires les uns et aux autres. Des extraits vidéos, diffusés sur des moniteurs, s’enchaînent. Des discours se mêlent aux images, à l’opacité différentielle, empilées les unes sur les autres. Les paroles des individus sont mutées pour être remplacées par celles d’une voix artificielle qui récite des phrases, peut-être dite par ces mêmes individus, ou peut-être celles que iels auraient pu dire. Des mots-clés, similaires au texte bref d’une recherche Google, s’enchaînent rapidement à l’écran comme la description synthétique de toute une génération. (Fig.4) La diversité du vécu se retrouve classée par des thèmes et des codes. Cette méthode d’organisation se rapproche de celle d’une machine tentant d’interpréter les vies et d’y faire sens, pour les faire comprendre à d’autres semblables. Sur ces images granuleuses de basse qualité, nous observons souvent une personne face à sa caméra dans un espace personnel comme celui de la chambre. Iels raconte quelque chose, parfois aux travers de leurs larmes, en essayant de s’expliquer et de faire part d’un vécu qui semble leur être cher. La génération qui est le sujet de ce musée se réduit donc aux restes trouvés de celle-ci comme cette poussière de métaux (Fig.5) extraite de la terre exposée. Les déchets deviennent des reliques. Ils sont des moyens pour comprendre nos comportements et ce qui a peut-être mené à la perte. Comme nous pouvons le voir à travers les interprétations que j’ai pu faire depuis le début de cette analyse, tout ce lost footage peut être ainsi rassemblés et compris de la manière dont ses trouveurs le souhaitent. Cette activité constante de production et d’archivage de contenus, représentatif d’un grand nombre des civilisations humaines actuelles, est donc vouée à une réinterprétation par l’autre. Les visiteurs potentiels de ce futur musée vont projeter un sens à toutes ces trouvailles, alors que la machine, elle-même dégradée par le temps, va indirectement influencer les significations qui en sont tirées, en conservant certains contenus au détriment des autres. L’influence sur ces interprétations imprévisibles commence déjà avec l’artiste qui trie et assemble les contenus entre eux pour donner une certaine image à ces individus et leurs vécus.

(Fig.4) Telefossils II, 2015, Gregory Chatonsky,
Unicorn Art Center, Beijing, Chine
(Fig.5) Telefossils II, 2015, Gregory Chatonsky,
Unicorn Art Center, Beijing, Chine

La machine, utilisée comme l’extension de nos corps organiques, est elle aussi vouée à se dégrader et à être inutilisable dans quelques années. Malgré son obsolescence, la machine est ici une actrice primordiale à la compréhension des corps et des mémoires censées perdurer jusqu’à une date indéfinie. Il est possible de dire que le relief de la machine prend le dessus sur celui du corps humain dans cette installation. Sans entrer dans cette dystopie typique de la science-fiction qui prône que l’humain soit remplacé par la machine, nous observons tout de même une fascination pour l’architecture intérieure des machines comme moyen de comprendre le rapport de l’humain à sa propre intériorité. Nous observons une série de dessins (Fig.6) réalisés par des bras robotiques, mais également des programmes tentant de ranimer les activités humaines. (Fig.7) Les machines sont à la fois les outils par lesquels des témoins, à bout de souffle, tentent de retranscrire les vécus du passé. Dans ce musée, sans médiateur·ice humain·e, elles racontent sans relâche, jusqu’à leur dysfonctionnement total. Les cultures, ainsi que les mémoires, sont homogénéisées pour l’image d’une civilisation. Mais une civilisation qui reste très occidentale, malgré la présence de mots en mandarins, que nous pouvons voir sur les vidéos. L’accent est plutôt porté sur la diversité de la machine, que nous percevons par ces moulages de grande taille similaires à des terrains de fouille archéologique. (Fig.8) L’intérieur du hardware est révélé dans ces motifs les plus géométriques, jusqu’à son ergonomie captivante. L’esthétique interne et externe de ces objets est semblable à des vestiges antiques avec leurs colonnes, leurs ouvertures, ainsi que divers passages pour les câbles et les composants. L’interface, déjà sujet à une attention particulière lorsque la machine est en fonction, devient plus que jamais un objet de contemplation. Or, les reliefs du corps humain s’aplatissent (Fig.9) pour devenir des textures scannées et imprimées sur des morceaux de tissus. En effet, les imprimés sur ces tissus ressemblent aux images décomposées utilisées pour habiller les formes numériques 3D. Les parties du corps, divisées en morceaux, se fondent entre elles pour occuper la totalité de cette surface rectangulaire comme un motif. La disposition de ces tissus, étendue sur des socles, comme du linge, encourage davantage cet interprétation que nous pouvons faire de la peau humaine comme un habillage pour des formes artificielles numériques. L’humain se montre selon le point de vue de la machine qui le synthétise et le découpe en image. Ainsi, ce musée tend de plus en plus à être une création faite par les machines qui exposent leurs activités précédentes avec l’espèce humaine. Les vestiges se présentent de la manière dont elles les perçoivent.

(Fig.6) Telefossils II, 2015, Gregory Chatonsky,
Unicorn Art Center, Beijing, Chine
(Fig.7) Telefossils II, 2015, Gregory Chatonsky,
Unicorn Art Center, Beijing, Chine
(Fig.8) Telefossils II, 2015, Gregory Chatonsky,
Unicorn Art Center, Beijing, Chine
(Fig.9) Telefossils II, 2015, Gregory Chatonsky,
Unicorn Art Center, Beijing, Chine

Avec tout ce que nous avons pu voir jusqu’ici, un certain sentiment d’attente se dégage de ce musée. Nous sommes face à ces artefacts faisant présence, dans l’attente d’être réactivés par notre regard. Ce contenu cherche une certaine attention qui se trouve dans la motivation même avec laquelle est produit ce contenu. Comme j’ai pu le mentionner plus tôt, cette attente laisse place à l’invention. Le mystère autour de ce qui est exposé, et le silence sur son sens, poussent vers un imaginaire. Il attise l’interprétation, pouvant être faite par nous, visiteurs actuels faisant retour sur notre propre condition, mais aussi par les futurs visiteurs humain ou machine invités par l’artiste. Il est possible que l’essence même du lost footage soit d’être retrouvé pour que son mystère soit découvert et ré-imaginé. De nos jours, ces interprétations sont déjà présentes dans notre rapport à des civilisations anciennes. Entre les informations scientifiques connues sur un peuple X et les questions auxquelles il n’y a toujours pas de réponse le concernant, émergent des places aux idées préconstruites, aux jugements et aux inventions incontrôlables. Même si cet aspect est présent dans l’ensemble des constituants de l’œuvre, nous le remarquons plus précisément à travers cette série de dessins. (Fig.10) L’artiste les réalise en fixant à son bras sur une imprimante hackée. De cette manière, l’imprimante dirige sa main pour tracer des villes fictives dont les images sont générées par un logiciel. La main de l’artiste est prêtée à la machine cherchant à reconstruire des lieux irréels. Ces paysages fictifs supposent d’anciens espaces d’habitation dans lesquels nous pouvons projeter des individus qui n’y ont jamais vécu. Ce musée laisse place à l’imaginaire des machines qui assemble et génère des images pour visualiser l’humanité.

(Fig.10) Telefossils II, 2015, Gregory Chatonsky,
Unicorn Art Center, Beijing, Chine

Une certaine angoisse est susceptible de naître autour de cette probable interprétation. La production continuelle de contenu tente possiblement d’atteindre le but inconscient de marquer les dimensions habitées par peur d’un oubli de soi imminent. Mais, au cours de ce processus, il y a aussi la question du choix. Nous choisissons ce que nous donnons à voir de soi et ce que nous cachons méticuleusement. Nous procédons à des sélections en supprimant et en remplaçant. Le contenu évolue avec les individus. Il évolue avec ce qu’on veut laisser de son identité pour le futur. Face à ce qui est appelé l’impending doom, cette peur qu’une chose soudaine causant notre disparition puisse se produire à tout moment. Nous sommes constamment dans un contrôle méticuleux de l’image qu’on donne de soi dans le réel et plus particulièrement sur Internet. Nous cherchons éventuellement à effleurer une présence infinie avec la réactivation de notre vécu par les traces qui vont être découvertes de nous. En parallèle, une peur se réalise par la réinterprétation de ces traces jugées selon des influences sur lesquelles nous n’avons pas notre mot à dire.

Du Chamanisme au Techno-chamanisme

Qu’est ce que le Techno-Chamanisme ?

L’émerveillement qu’ont pu produire les inventions technologiques, laisse aujourd’hui place à une forme de banalité consumériste et à un désenchantement. Cependant, le techno-chamanisme reste un mouvement qui imprègne tout l’univers d’Internet et du web, rejetant toute opposition dualiste entre Nature et Technologie. Il est inspiré par le New Age et par les chants musicaux électroniques comme la « tribe » qui peuvent introduire à la transe.

 » CyberZone  » Séries de Magazine branchés Cyberculture & technologie, parlant pour la première fois du techno-chamanisme lors d’un article.

Ainsi nous pouvons comprendre que suite au développement technologique, une limitation à la vision cartésienne éclipserait toute forme de sensibilité ésotérique : d’où la nécessité de créer une alternative futuriste qui accepte et coexiste avec la pensée spirituelle. 

 » Selon Mark Dery, observateur de la cyberculture et auteur de Vitesse Virtuelle, le techno-chamanisme incarne « la culture parallèle, modeste mais vitale, des savants de l’informatique qui ont un pied dans la technosphère naissante et l’autre dans le monde fou du paganisme ». « 

 » Le techno-chamanisme témoigne du besoin universel de laisser une place au divin dans une société devenue de plus en plus scientifique et technologique. « Depuis le Siècle des Lumières, la raison instrumentale, armée de la méthode scientifique, a systématiquement démantelé la conception spirituelle du monde, à quoi elle a substitué la cosmologie de la science. Cernés par le rationalisme et le matérialisme, ceux qui pleurent la perte du sacré et se sentent démunis sans lui, ont adopté consciemment ou non, une stratégie curieuse, qui est de justifier leurs croyances en termes scientifiques », comme nous pouvons le lire dans l’un des chapitres du livre de Mark Dery, intitulé Deus Ex Machina – Techno-paganisme. 

Le techno-chamanisme, par ses croyances new-age, se raccorde avec la contre-culture psychédélique des années 60 et celle informatique, virtuelle et cyberdélique des années 90. Comme le courant new age, le néo paganisme qui lui donna naissance, est entré dans la culture occidentale des sixties par la mode du mysticisme oriental et de l’occultisme (astrologie, tarot, Yi-king et magie).  » Des extraits clés de l’article de Maxence Grucier « Techno-chamanisme & Cyber-primitifs » 1996-2008, une référence mettant le doigt sur des temporalités et courants théoriques.

Le collectif Deletere

C’est une association qui produit et diffuse des œuvres et des performances multimédia questionnant le public sur sa relation aux Machines.

Adelin Schweitzer en est le fondateur à Marseille en 2013.

 » Deletere affirme un point de vue critique sur le numérique, matière dure et obscure, et le converti en médium d’expression artistique et en objet de poésie. En réponse à la colonisation massive de nos vies et nos corps par le numérique, les artistes du collectif donnent naissance à des îlots de résistance, produisant un art expérientiel qui explore les états modifiés de la conscience. Le collectif entend ainsi offrir à tous-tes des alternatives à contre-courant des grandes tendances actuelles au consumérisme culturel et au divertissement de masse. « 

Avant tout, c’est un laboratoire émulateur de création, mis à la disposition d’artistes. Il est implanté depuis 2017 au cœur de la Belle de Mai, au sein du tiers-lieu Le Couvent. 

L’association soutient à ce jour trois artistes :

  • Adelin Schweitzer – Artiste pluridisciplinaire
  • NAO – Artiste performeur
  • Gaëtan Parseihian – Chercheur en acoustique et compositeur

#AlphaLoop

C’est un projet qui aborde la thématique du sacré par le prisme de la pratique imaginée du techno-chamanisme, celle-ci affirmant qu’il n’y a pas d’opposition dualiste entre Nature et Technologie, pas de différence structurelle entre les ordinateurs et les autres manifestations «naturelles» de la réalité.

Il s’inspire librement des théories développées par Timothy Leary sur le chamanisme cybernétique et s’articule autour d’un voyage de recherche sur les mythes et les cultures du Nord du Québec. Cette excursion réalisé en Abitibi entre août et septembre 2018 est venu renforcer l’écriture dramaturgique de l’œuvre qui pose un regard critique et singulier sur les technologies de la Réalité Étendue (XR), l’idéologie de l’innovation et la spiritualité.

L’expérience performative se met en place in situ. Lui (Fred Séchet) le Méta (Adelin Schweitzer) un duo incontournable pour une expérience immersive à l’intérieur de soi. 

Explorer la possibilité d’un multivers une coexistence en symbiose.

Crossed Lab – Arts & Cultures Hybrides

Nous sommes invités à se laisser guider par le chaman moderne (Lui), et à appréhender le réel transfiguré. Le Meta, une « entité » épaulant le chaman, traduit les données des machines à destination des participants. Adelin Schweitzer, muni d’un téléphone, intervient dans la perception des spectateurs équipés d’un casque VR. Nous déambulons ainsi dans l’espace public, mais transportés dans un multivers où la nature est conjointe à la technologie.

Nos sens sont désorientés, immergés dans une nouvelle forme de perception : invités à apprendre de nouveau à marcher et à appréhender ces espaces troublés par la méta, mais aussi guidés par le chaman. Nous sommes comme sous l’effet de psychotropes prenant source à l’essayiste Timothy Leary. Une théâtralité assumée dans le processus captivant les individus. Prise de potion “magique” au début de la performance, une ritualisation, un protocole emprunté aux pratiques occultes, offrant une crédibilité.

Ainsi nous expérimentons la vision du chaman lors de la transe. Pourtant, la dimension spirituelle de l’œuvre n’est qu’un contexte et prétexte pour mettre en abîme la réalité augmentée, l’humain augmenté, problématiser son impact sur notre futur. 

Adelin Schweitzer et #ALPHALOOP – Laboratoire modulaire

Les Sources

Références

Images

Chamanisme et Neurosciences

Tout d’abord, nous pourrions nous demander ce qu’est le chamanisme,  où nous  le retrouvons, et depuis quand, ce type de pratique se perpétue.

Ce que l’on peut affirmer, c’est que nous trouvons des traces du chamanisme sur les cinq continents. Les premiers témoignages remontent aux chroniques des missionnaires, diplomates, navigateurs et explorateurs du 13ème siècle en provenance de l’Extrême-Orient et de l’Europe septentrionale puis au 15ème siècle pour les Amérique.
Des traditions ont persisté au cours des âges, d’autres ont presque disparu, particulièrement en occident. Ainsi, les sociétés poursuivant leur mode de vie et héritage des anciens, sont dites primitives.

Autant dire que les pratiques spirituelles et ésotériques ne sont pas précisément datées, n’ayant pas de source directe, puisqu’elles ont toujours été initiées secrètement, suivant l’évolution de la civilisation.

Si l’on s’accorde à définir le chamanisme :

– C’est un ensemble de pratiques empiriques informelles propre à leurs aires géographiques.

– Dans la sphère moderne, est mise en commun une vision correspondant à un mélange culturel et à un métissage imaginaire.

– Le chaman serait le lien entre les esprits et les hommes pouvant communiquer. La transe est le moyen permettant de traverser et de voyager dans la dimension des esprits. 

Au fur et à mesure des siècles depuis la découverte des chamanes, ceux-ci ont fait l’objet de fortes critiques. Charlatan, comportement sauvage, hérésie, hérétique, victime de maladie mentale, dédoublement de la personnalité, hystérique, psychotique, schizophrénie ou de l’épilepsie. En 1861, Krivoapkin, « fou guéri », « physiologie pathologique », etc.

Olga Letykai Csonka, La Chamane Suisse, Originaire de Sibérie

Le chamanisme, c’est ça
Chamane de Sibérie, Olga perpétue son art dans les Alpes suisses

Le chamanisme est à distinguer du Néo-chamanisme

Le Néo-chamanisme apparaît dans les années 60, soutenu par le mouvement New age, ainsi que par la mouvance hippie. Il incarne une nouvelle forme de chamanisme en tant que pratique spirituelle moderne, qui motive la pensée pro-écologique.

Sur les 5 continents, le chamanisme reprend les fragments des préceptes traditionnels. L’occident, principalement, retrouve son héritage historique, celui de l’Amérique ou de l’Europe. Deux figures d’ethnologues chercheurs apparaissent comme des pionniers ayant soutenu ce mouvement. 

Tout d’abord, Michael Harner, spécialiste du chamanisme traditionnel et de la pratique du chamanisme moderne. En 1980, il écrivit un ouvrage portant son idée « The Way of the Shaman ». Core Shamanism : exprimant les fondamentaux du chamanisme.

Puis, Carlos Castaneda, écrivain de plusieurs livres autobiographiques, témoignages de son apprentissage des courants chamaniques. Il analyse notamment le chamanisme toltek en Amérique du sud. Don Juan Matus sera le maître spirituel principalement mentionné dans ces écrits depuis 1968, « The Teachings of Don Juan : L’Herbe du diable et la Petite Fumée ».

Ces écrits reconstruisent une pratique ayant subi une persécution ou une interdiction : mais entre authenticité ou vérité, il existe un débat entre ces communautés.

La Transe 

Selon les cultures, il y a différentes façons d’instiguer la transe, comme par exemple les chants de gorges de la Mongolie ou la fumée des plantes telles que  l’Ayahuasca en Amazonie. Une transe auto-induite que l’on maîtrise pour communiquer, traverser les sphères et aller à la rencontre des esprits pouvant incarner les ancêtres du clan ou des apparences animales. Chaque chamane à son esprit de tête qui est le protecteur du chaman faisant office de guide à travers les voyages.

Cette demande de communication est utilisée pour les rituels de guérison, mais aussi pour comprendre ce qui n’est pas équilibré. Selon les chamanes, les esprits sont souvent les instigateurs d’événements ou de maladies. Car ceux-ci sont en colère, suite au manque de respect. Chaque pierre, arbre, animaux ou particule ont une vibration. Alors s’il y a vibration, il y a vie.

L’Ouvrage

Sébastien Baud et Corine Sombrun,

Chamanes au cœur de la Nature, 2021

Sébastien Baud est ethnologue, américaniste, il mène des travaux de recherche sur le chamanisme ainsi que les pratiques et traditions liées aux plantes et à la spiritualité. Connu pour ses travaux et ses recherches de terrain avec les populations urbaines et paysannes.

Ce recueil est un bilan général des études et des questionnements relatifs au personnage du chaman et à ses fonctions, aux croyances et pratiques chamaniques, en particulier la transe.

– La première partie s’interroge sur l’origine et la sémantique des mots chamanes et chamanisme. Aujourd’hui, ces termes sont des tiroirs qui sont les niches des concepts et fantasme occidentaux. On traverse du moyen âge à nos jours l’ethnologie du chamanisme et ces différentes assimilations culturelles. 

– Puis nous faisons un tour du monde qui décrit les différentes formes de sociétés chamaniques dans lesquelles ils sont observés. Sébastien Baud reste ferme en écartant la théorie du fou dans le chamanisme. Contrairement aux prêtres occidentaux et à certaines religions institutionnelles, le chaman ne professe pas des croyances, mais témoigne d’un mode d’action ( théorie empruntée à Michel Perrin ).

– La dernière partie décrite par Sébastien Baud parle de l’initiation chamanique et de la transe.

L’état de transe est la preuve du voyage chez les esprits ou annonce la présence des êtres non-visible. Plus qu’une simple possession, c’est une expérience durant laquelle l’âme quitte le corps, tout comme la projection astrale, pour permettre un accès à une connaissance autre.

Les Neurosciences

Corine Sombrun est une écrivaine et chamane française qui s’est fait connaître pour son travail dans le domaine des expériences chamaniques, en particulier sa relation avec les chamanes en Mongolie. Elle a écrit plusieurs livres sur le sujet, dont « Mon initiation chez les chamanes » (2004) et « Les esprits de la steppe » (2008). Elle a créé en 2019 le « Trance Science Research Institute » avec une équipe internationale de chercheurs.

Elle conclut l’ouvrage par une ouverture sur les neurosciences. Suite à ces expériences avec les chamanes de Mongolie, elle développe l’entrée volontaire en transe (auto-induite sans recours à des tambours ou psychotropes ). Elle collabore en effet en tant que cobaye avec des chercheurs comme Pierre Etevenon, Francis Taulelle, Pierre Flor-Henry, etc. Sa démarche promeut une révolution scientifique dans le domaine de la maîtrise des facultés cognitives plus étendue, permettant une meilleure compréhension des mécanismes cérébraux.

Elle confirme que la transe est un état dissociatif non-pathologique, mais mieux encore, l’un des probables futurs outils de la psychiatrie.

Quant aux bénéfices potentiels de la transe, figure sa possible contribution à la réduction du déficit d’attention, aux problèmes d’anxiété, de stress, au traitement des psychoses, de la douleur, etc.

Conférence : Transe et Neuroscience – Corine SOMBRUN

L’électroencéphalogramme

Les sources

Images :

La réalité virtuelle pour voyager au-delà des frontières imposées: Hayoun Kwon, 489 years

Hayoun Kwon :

Hayoun Kwon est une artiste multimédia né en Corée du Sud à Séoul en 1981. Elle a réalisé des études à l’Ecole des Beaux-Arts de Nantes, puis a été diplômée du Fresnoy en 2011 à Tourcoing, le Studio national des Arts contemporains. Elle est co-fondatrice du studio Innerspace VR. Un studio basé à Paris dont le travail se centre sur la réalité virtuelle afin de construire des jeux et des divertissements avec une forte identité créative. Son travail est centré principalement autour de la narration et de la mémoire individuelle et collective. A travers le travail de la vidéo elle interroge la relation entre la réalité et la fiction, entre le souvenir réels et l’actions rêvés, entre le témoignage fidèle et l’interprétation fantasmée. Elle cherche à brouiller les pistes entre la réalité et la fiction.

« Ce qui m’anime ? Il n’y a pas de règles. Au contraire. Cela peut naître d’une rencontre, de ce que j’ai pu voir, et qui me laisse une impression tellement forte que son emprise ne me quitte plus. » [1] (Interview de Valentine Meyer le 28 octobre 2020)

Le témoignage et le récit sont importants dans son travail. On peut prendre l’exemple de son œuvre L’oiseleuse où l’artiste recréer un espace 3D visible par un casque de réalité virtuelle remet en scène les souvenirs de son ancienne professeurs de dessins en nous transportant dans un monde imaginaire.

Hayoun Kwon, l’Oiseleuse, casque de réalité virtuelle, Palais de Tokyo, (2015)

Démarche de l’artiste :

L’artiste commence toujours par écrire un texte, avec une description ce que elle souhaitera voir et dans quel ordre d’apparition. Elle évalue par la suite la taille réelle de l’espace va prendre pour ensuite le modéliser en 3D, d’abord sur ordinateur et ensuite l’intègre dans le casque de réalité virtuelle. Elle travaille ensuite la musique et invente une solution graphique pour que les personnes ne se rentrent pas dedans en déambulant avec le casque. Elle réalise des tests de couleurs de durée, jusqu’au dernier jour. Son travail pour son œuvre Peach Garden à représenter plus de 9 mois de travail. Un travail dans lequel elle s’inspire du rêve de voyage des pêchers en fleurs du peintre coréen An Gyeon. Elle créé une déambulation dans un jardin surréaliste, un voyage sensoriel où le spectateur est émerveillé à chaque tournant. C’est une invitation à errer et à prendre plaisir à être simplement présent. Elle a reçus de nombreux prix pour ses travaux tels que le prix de jeune création en 2012 et le Prix Découverte des Amis au Palais de Tokyo en 2015. Son travail à aussi été présenté dans de nombreux festivals de films internationaux et exposition notamment en France, en Allemagne et aux États-Unis.

Hayoun Kwon, Peach Garden, installation avec casque de réalité virutelle, Centquatre, Paris (2019)

489 Years :

Cette œuvre pièce en réalité virtuelle retrace le récit d’un soldat sud-coréen venant de la zone dématérialisée (DMZ) entre la Corée du Sud et du Nord. Cette zone mesure 4km de large pour 250km de de long. Elle se situe à l’endroit où se trouvait la ligne de Front quand la Guerre de Corée à prit fin en 1953 pendant la guerre Froide. Cette zone placée sous le control de l’ONU, est surnommé no man’s land (la terre qui n’appartient à personne) car il est difficile de s’y aventurer. Pourtant cette zone attire beaucoup de touriste pour cela, mais leur accessibilité à la zone est limitée. Cette zone est surveillée par plus de 700 000 soldats nord-coréens et 410 000 soldats sud-coréens aidés par la 2ème division des États-Unis, des millions de mines, de divers souterrains, de batteries de canons, de kilomètre de barbelés, d’antennes et de miradors. La circulation des humains dans la zone est extrêmement restreintes et rare. Mais cela n’a pas empêché à la faune et la flore de se développer en faisant une zone de biodiversité où plus de 6100 espèces ont été répertoriées (plantes, reptiles et oiseaux) et plus de 38% des espèces menacées dans la Corée du Sud et du Nord y vivent (grue du Japon, lézard, aigles royaux,..). On peut aussi y retrouver des plantes rares comme la Scopolia parviflora, la Penthorum chinense et la Wikstremia trichotoma. En 2018, l’ancien président sud-corée Moon Jae-in et le leader nord-coréen Kim Jong-un déclarerons vouloir transformer cette zone en « zone de paix ». La Corée du Sud délimitera la zone pour permettre à certain randonneur de pour voir observer cette végétation.

Hayoun Kwon utilise le médium de l’animation 3D afin de permettre aux spectateurs d’accéder à ce lieu. Cet espace se trouvant entre la fiction et le fantasme d’un territoire interdit devient tangible grâce à l’utilisation du témoignage d’un ancien soldat originaire de cette région.

L’œuvre, accessible via un casque de réalité virtuelle, nous plonge dans l’expérience visuelle du soldat, intensifiant notre immersion dans cet environnement. En nous plaçant à travers les yeux de ce soldat, l’artiste nous donne un accès à cet espace en s’appuyant sur les souvenirs de ce vétéran. Rendant l’exploration de cet environnement plus intime et plus réel. Nous voyons à travers les yeux d’une personne ayant une expérience personnelle de ce lieu, ce qui le rend plus concret et plus facile à imaginer. Cette perspective est différente du simple récit d’un touriste qui aurait pu déformer la réalité. Avec un soldat, bien que le doute demeure, il s’agit d’une vision ancrée avec des expériences vécues, ce qui la rend d’autant plus importante afin de saisir la réalité de cet espace.

Hayoun KWON, 489 Year, installation vidéo 360° de 12 minutes sur écran et dans un casque virtuel accompagnée de mines en sable dupliquées de 6cm de haut et 10 cm de diamètre ainsi que d’images 80 x 40 qui représentent des parties de la vidéo, galerie Dohyang (2015)

Mais ce n’est pas l’unique but de l’artiste car elle souhaite aussi montrer le coté paradoxale de cet espace. Cet ancien soldat tout en parlant de l’aspect militaire de cette zone par les barbelés, les mines,… témoigne aussi de la beauté de cette endroit par la végétation qui a pu s’y développer comment nous avons pu le voir précédemment. L’artiste met en avant ce paradoxe en mettant avant la beauté de subliminale des végétaux, par l’apparition de différentes plantes et animaux par rapport aux installations militaire par la présence de barbelés, lumière de surveillant, mine qui entraîne la destruction de cet espace,… Le but de l’artiste est de mettre en avant les réalités géopolitiques derrières cette zone qui coupe la Corée en deux. Et dont cette image de cet espace mythique comme une végétation luxuriante cache bien des violences.

« C’est ce que j’ai fait aussi pour 489 Years. J’ai créé un paysage de la DMZ à partir d’un récit (ndt, DMZ : zone démilitarisée entre la Corée du Nord et du Sud, connue pour être un des endroits les plus militarisés et dangereux au monde, parmi les plus interdits d’accès au public). Je me suis basée sur ce que m’a raconté un ex-soldat. J’ai été touchée par sa vision contrastée d’un lieu extrêmement dangereux mais aussi avec des paysages qu’il trouvait sublimes. A partir de là j’ai utilisé l’animation comme médium pour reconstruire un espace qui joue aussi sur la fiction et le fantasme d’un territoire interdit, une zone frontière où j’invite chacun à ressentir l’ intense anxiété et la beauté. » [1] (Interview de Valentine Meyer le 28 octobre 2020)

[1] https://open-ring.com/2020/11/03/hayoun-kwon-liberte-et-realite-virtuelle/

Sources

Hayoun Kwon

https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_liste_generique/C_63599_F

https://www.104.fr/artiste/hayoun-kwon-biographie.html

http://www.innerspacevr.com/

https://www.unifrance.org/film/33283/manque-de-preuves

489 years

https://www.hayounkwon.com/865004006353

https://starts-prize.aec.at/en/489-years

https://planete-decouverte.fr/blog/a-la-decouverte-de-la-dmz/

https://www.bfmtv.com/international/asie/coree-nord/la-zone-demilitarisee-entre-les-deux-corees-est-un-paradis-pour-la-biodiversite_AN-202302240463.html

https://open-ring.com/2020/11/03/hayoun-kwon-liberte-et-realite-virtuelle/

Images

https://www.hayounkwon.com/865004006353

https://www.hayounkwon.com/new-gallery-1

https://open-ring.com/2020/11/03/hayoun-kwon-liberte-et-realite-virtuelle/

http://centre-photo-lectoure.fr/expositions/489-annees/

https://loop-barcelona.com/artist-video/489-years/

http://www.galeriedohyanglee.com/hayoun-kwon