L’immersion du spectateur dans l’image numérique 3D : éclairages théoriques d’Anaïs Bernard et perspectives artistiques

Les arts immersifs, tels qu’explorés dans la thèse d’Anaïs Bernard intitulée « Traversée des réalités dans l’immersivité de l’art : vers une expérience spatio-temporelle esthétique », mettent en relation le dispositif, l’artiste et le spectateur-acteur, tous contribuant à la création de l’œuvre. L’immersion dans des idées, des sensations et des émotions grâce au corps vivant de l’acteur est le résultat de dispositifs inducteurs qui activent inconsciemment et spontanément l’imaginaire. La profondeur du corps est activée par l’immersivité produite par le dispositif artistique à travers une de ces trois typologies : interactions, insertions, hybridations. Que ce soit l’artiste lui-même ou le spectateur-acteur qui soit immergé, cela éveille des sensations et des émotions inédites dans son corps qui modifient ses perceptions sensorimotrices, proprioceptives et parfois neurophysiologiques, produisant une nouvelle interprétation esthétique de l’univers dans lequel il est immergé.

La traversée des réalités dans l’immersivité de l’art fait référence à l’expérience de plonger complètement dans un univers artistique, en utilisant des techniques de réalité virtuelle ou d’autres moyens pour créer une expérience sensorielle immersive. Cela peut inclure l’utilisation de sons, de lumières, de mouvements et d’autres éléments pour créer une expérience esthétique qui transcende la simple observation d’une œuvre d’art. Le but de cette expérience est de permettre au spectateur de se sentir totalement immergé dans l’univers créé par l’artiste, de manière à ce qu’il puisse ressentir l’expérience de manière plus profonde et plus significative. Cela peut également permettre de créer une expérience spatio-temporelle, en donnant l’impression que le spectateur est transporté dans un autre lieu ou dans une autre époque.
En général, la traversée des réalités dans l’immersivité de l’art vise à offrir une expérience esthétique unique et inoubliable, en permettant au spectateur de se connecter de manière plus profonde à l’œuvre d’art et à son univers, c’est en tout cas ce qu’Anaïs Bernard essaye de nous exposer dans sa thèse. Elle introduit sa thèse en citant Pascale Krajewski dans L’art de l’immersion : de la perspective à la simulation pour amorcer la définition de ce que n’est pas l’immersion, et pour définir ce que signifie de rechercher l’immersion.

Il nous dit donc:

« Tout art n’est pas immersif et tout système d’immersion n’est pas artistique. Réfléchir sur la notion d’arts immersifs, c’est porter l’attention d’un même mouvement sur les conditions de possibilité d’une immersion et sur les moyens que les arts, chacun selon leur médium, peuvent y affecter »

Pascal Krajewski


Selon ce texte choisi dans l’introduction, il y a des porosités entre art et système immersif, mais l’un n’engage pas forcément l’autre.
D’après lui, les questions que l’on devrait se poser sont:

  • Qu’est ce qui fait immersion ?
  • Quel médium pourrait amener cette immersion ?

Ce sont des questions qui sont importantes à notre époque, puisqu’un grand nombre d’artistes utilisent ces principes avec les nouvelles technologies qu’ils expérimentent.
Et donc Anais Bernard nous précise que sa thèse permet de s’interroger sur la question de l’immersivité de l’art alors que le terme d’immersion fait événement. Elle rappelle alors l’engouement autour de cette thématique et démontre que la profusion médiatique, artistique, culturelle remet constamment en question notre conscience ordinaire. Elle pose alors des questions qui sont induites par les dispositifs immersifs:

  • Comment percevons-nous le monde ?
  • Comment nous y sommes-nous intégrés ?
  • Est ce que l’immersion apparaît comme une expérience totale: physique et psychique ?
  • Ou appartient-elle à une expérience partielle conduisant à une illusion, de laquelle il serait
    possible de proposer une topologie en fonction des artistes, des agents immersifs et des
    sensations ressenties ?

Elle va développer plusieurs grands axes dans un premier tome, sur les parallèles entre sciences et arts, elle introduit la cohabitation des arts et des technologies qui introduisent et cadrent le sujet de recherche avant de commencer le développement sur comment le corps entre en jeu dans l’immersion dans l’oeuvre, et comment l’oeuvre permet l’immersion du corps avec: Le corps-Machine: une hybridation quotidienne, les arts immersifs, et les Interactions, Imsertions, Hybridations des corps pluriels. Au-delà de toute théorie, basique dans sa recherche, tout un second tome sur des cas pratiques existe avec des Interview faites uniquement dans le cadre de cette thèse.
On peut lister les artistes et les thèmes suivant:

  • Claire Sistach, voyage en réalité virtuelle
  • Scenocosme, l’interaction entre rêve et poésie pour une imsertion
  • Jean-Michel Rolland, l’interaction du corps comme instrument
  • Marie-Laure Cazin, l’émotion comme interaction hybridée
  • Stelarc, hybridation des corps pour une pluralité
  • Sylvie Chartrand, hybridation entre objet réel et sujet fictif, pour une imsertion dans
    son double
  • Cyberesthésie, du fantasme écranique au fantasme scénique, vers une
    multitypologie.

Il est important de bien comprendre que la réalité virtuelle dans sa thèse ne fait pas forcément référence aux réalités qui utilisent des casques de réalité virtuelle. Elle nous parle par exemple de Claire Sistach qui a vécu 28 jours uniquement dans World of Warcraft à travers son ordinateur sans dispositif d’augmentation de l’immersion autre qu’un simple écran et des input tel que le clavier et la souris.

« Trip-In-Wow » – Claire Sistach 2013 © Tryangle.fr


Pour finir, voici comment Anaïs Bernard défini une oeuvre par rapport à l’expérience du sensible par un spectateur:

“L’œuvre s’offre comme une expérience sensible, tout entière, contenue dans la suite des expériences perceptives singulières que vit le spect-acteur au cours de ce dialogue homme-machine ; où il se voit attribuer le rôle d’acteur par son positionnement actif face à l’œuvre qui s’impose à lui de manière naturelle. Ce théâtre sans théâtre bouscule les frontières entre l’art et la vie engendrant un nouveau langage possible. Ce bouleversement de la participation du spectateur, tout d’abord d’ordre psychique, puis physique, suscite une immersion du corps du spectateur dans des expériences illusoires, mais dont l’effet en retour sur la perception, l’audition et le toucher traverse le vécu corporel.”

Entre réalité et virtualité : l’immersion du spectateur dans l’image numérique 3D à travers l’œuvre de France Cadet

Aujourd’hui, la technologie occupe une place prépondérante dans nos vies, affectant notre manière de nous divertir, de nous informer et de travailler. Au cours des trois dernières décennies, l’image numérique 3D s’est imposée progressivement grâce aux films d’animation, aux effets spéciaux dans les films en capture réelle, ainsi qu’à la démocratisation de ces techniques via les jeux vidéo, la réalité virtuelle et l’impression 3D, entre autres.
Ces technologies novatrices, omniprésentes dans notre quotidien, influencent le monde de l’art et donnent naissance à de nouveaux artistes qui les exploitent. Pour explorer les questions relatives aux relations entre le réel et le virtuel engendrées par ces technologies, de nombreux chercheurs et théoriciens se sont penchés sur le sujet, offrant diverses perspectives sur l’utilisation de ces outils et leurs répercussions.

Dans ce contexte, des artistes tels que France Cadet avec son œuvre « Demain les robots » explore les enjeux de l’immersion du spectateur dans l’image numérique 3D. Ses travaux interrogent notre perception de la réalité et notre rapport à l’espace et au temps, tout en mettant en lumière les frontières entre le réel et le virtuel.

Née en 1971, France Cadet une artiste française qui s’intéresse à la robotique et aux nouveaux médias dans son travail. Elle aborde de façon ironique diverses questions scientifiques qui suscitent des débats, révélant nos peurs actuelles concernant les biotechnologies et l’intelligence artificielle. Elle explore parodiquement les relations entre l’homme et l’animal et entre l’humain et l’androïde, en jouant sur la frontière de plus en plus
floue entre le naturel et l’artificiel.

La plupart des œuvres de France Cadet abordent des sujets sérieux, mais avec une touche d’ironie et de légèreté. C’est grâce à l’humour et à la dérision que la critique sociale est exprimée. Bien que sarcastique, son discours est toujours étayé par des faits réels. Dénoncer les stéréotypes de genre, défendre les droits des animaux et éclairer nos peurs actuelles concernant la singularité technologique sont quelques-uns des thèmes abordés dans le travail de France Cadet.
Elle est véritablement une artiste de l’hybridation art-science. Sa formation en biologie lui a laissé un goût pour l’anatomie. Ni technophobe, ni technophile, elle interroge notre relation avec la technologie. Elle s’intéresse aux mutations technologiques de notre monde, à notre devenir cyborg, notre fusion avec la machine. Préférant la figure du cyborg à celle de la déesse, elle se met en scène en tant que gynoïde moderne, à mi-chemin entre femme et robot.
Par exemple on peut citer Botched Dollies – 2011:

Botched Dollies - France Cadet
« Botched Dollies » – 
OCT SUHE CREEK Gallery – Shanghai – 2011

Botched Dollies est une installation robotique qui présente quatre robots avec des plâtres, des prothèses ou diverses malformations causées par le clonage et les manipulations génétiques couramment utilisées dans l’élevage industriel.
Le public est invité à observer ces quatre « Botched Dollies », littéralement « Dolly ratées », nommées ainsi en référence à la première brebis clonée et au terme « botched taxidermy » utilisé par Steve Baker dans son ouvrage « The postmodern animal ».


Mais l’oeuvre qui nous intéresse ici dans le domaine des images numériques est Demain les Robots, fait en 2019
Demain les robots de France Cadet est une installation vidéo avec 7 écrans et quelques accessoires lowtech permettant d’accéder à ces écrans visuellement.

Exposition « Demain les robots » Fondation Vasarely, Aix-en-Provence, 2019 © Photo France Cadet
Exposition « Demain les robots » Fondation Vasarely, Aix-en-Provence, 2019 © Photo France Cadet

France Cadet par cette oeuvre pose les questions et pré-suppositions suivantes:
● Il semble que l’avenir appartienne inévitablement aux robots et à l’intelligence
artificielle, mais y avons-nous encore notre place ?
● Serons-nous tous des robots demain ?
● Devons-nous absolument fusionner avec la machine pour ne pas être dépassés par
elle, comme le prônent les transhumanistes les plus fervents ?
● Est-ce que l’esprit pourrait finalement exister seul dans la machine ?

Elle dépeint une projection futuriste où l’homme aurait disparu, comme le présupposent les
chiens de Clifford D. Simak en 1952 dans son recueil Demain les chiens. Des loupes organiques munies de filtres polarisants permettent au public d’entrevoir cette spéculation de l’autre côté du miroir.
Cette installation pose la question de l’hybridation Homme-machine mais aussi celle du remplacement de l’humain par les nouvelles technologies. L’artiste s’appuie en partie sur les écrits d’Aldous Huxley dans Le Meilleur des Mondes où il imaginait un clonage reproductif associé à l’arrivée des premiers utérus artificiels. Dans ce texte, Aldous Huxley parle de l’ectogenèse: une grossesse à l’extérieur d’un corps.
L’utilisation de loupe, de lunettes et de filtres en tout genre qui n’existent que grâce aux technologies se rapportent aussi à une hybridation Homme-machine et nous transpose vers une sorte de transhumanisme où le corps humain ne se suffit plus à lui-même: nous sommes inconscient de l’étendue de l’œuvre si la technologie ne nous montre pas ce que les écrans affichent.
Cette œuvre est très intéressante pour l’étude de l’immersion du spectateur car elle fait appel à des biais cognitifs quotidiens. De la même manière que l’on utilise un smartphone pour voir un objet en réalité augmentée, les outils qui sont mis à notre disposition nous permettent de voir l’invisible. Et bien que ces images ne soient pas visibles à l’œil, les spectateurs se prennent au jeu par curiosité et découvrent cet univers qu’ils peuvent accepter. En effet, aujourd’hui l’utilisation du smartphone est devenue nécessaire et quotidienne. Sortir sans son téléphone devient impensable dans notre société. Son importance est devenue presque vitale: renfermant des souvenirs, il reste un moyen de garder contact avec autrui et est un outil de travail en même temps. Beaucoup voient cette machine comme une extension d’eux même. Cette remise en question du soi par la technologie est un principe fondamental de ce que l’image numérique ou l’image en réalité virtuelle et en réalité augmentée utilise.
On peut aussi y voir une dystopie du transhumanisme qui devient un sujet de plus en plus abordé dans nos sociétés constamment connectées volontairement ou à leur insu.

L’œuvre captivante de France Cadet nous confronte donc aux enjeux de l’immersion du spectateur et nous incite à réfléchir sur notre rapport aux technologies. Pour approfondir davantage ces idées, il est pertinent de se pencher sur les travaux d’Anaïs Bernard. Sa thèse intitulé « Traversée des réalités dans l’immersivité de l’art : vers une expérience spatio-temporelle esthétique » offre des perspectives éclairantes sur les dimensions esthétiques et conceptuelles de l’art numérique et l’expérience du spectateur. En explorant cet article, nous pourrons enrichir notre compréhension des enjeux liés à l’immersion et aux relations entre le réel et le virtuel dans l’art contemporain.